Camille l'aidait à s'asseoir sur la lunette puis sous la douche et la savonnait en parlant d'autre chose. Les shampoings s'avérèrent plus délicats. À chaque fois qu'elle fermait les yeux, la vieille dame perdait l'équilibre et partait en arrière. Au bout de quelques essais catastrophiques, elles décidèrent de prendre un abonnement chez un coiffeur. Pas dans le quartier oú ils étaient tous hors de prix (« Qui c'est ça, Myriam? lui répondit ce crétin de Franck, je connais pas de Myriam, moi...») mais tout au bout d'une ligne d'autobus. Camille étudia son plan, suivit du doigt les parcours de la RATP, visa l'exotisme, éplucha les pages jaunes, demanda des devis pour une mise en plis hebdomadaire et jeta son dévolu sur un petit salon de la rue des Pyrénées, dernière zone de tarification du 69.
En vérité, la différence de prix ne justifiait pas une telle expédition mais c'était une si jolie promenade...
Et tous les vendredis, dès l'aube, à l'heure où blanchit etc., elle installait une Paulette toute fripée près de la vitre et assurait les commentaires de
Paulette, qui se souvenait de son catéchisme, prenait invariablement une truite aux amandes, et Camille, qui n'avait aucune morale, mordait dans un croque-mosieur en fermant les yeux. Elles commandaient un pichet, mais oui, et trinquaient de bon cœur. À nous ! Au retour, elle s'asseyait en face d'elle et dessinait exactement les mêmes choses mais dans le regard d'une petite dame toute pimpante et trop laquée qui n'osait pas s'appuyer contre la vitre de peur de froisser ses superbes frisettes mauves. (Johanna, la coiffeuse, l'avait convaincue de changer de couleur : « Alors, c'est d'accord? Je vous fais l'Opaline Cendrée, hein ? Regardez, c'est le numéro 34, là... » Paulette voulait interroger Camille du regard mais celle-ci était plongée dans une affaire de liposuccion ratée. « Ça ne va pas rendre trop triste ? » s'inquiéta-t-elle « Triste ? Mais non ! Ce sera très gai au contraire ! »)
En effet, ce... c'était le mot. C'était très gai et, ce jour-là, elles descendirent à l'angle du quai Voltaire pour acheter, entre autres, un nouveau demi-godet d'aquarelle chez Sennelier.
Les cheveux de Paulette étaient passés
Ah ! Tout de suite... C'était beaucoup plus chic...
Les autres jours, c'était Monoprix donc. Elles mettaient plus d'une heure à parcourir deux cents mètres, goûtaient la nouvelle Danette, répondaient à des sondages idiots, essayaient des rouges à lèvres ou d'affreux foulards en mousseline. Elles traînaient, jacassaient, s'arrêtaient en chemin, commentaient l'allure des grandes bourgeoises du VIIe et la gaieté des adolescentes. Leurs fous rires, leurs histoires abracadabrantes, les sonneries de leurs portables et leurs sacs à dos tout cliquetants de babioles. Elles s'amusaient, soupiraient, se moquaient et se relevaient précautionneusement. Elles avaient le temps, la vie devant elles...
5
Quand Franck n'assurait pas l'intendance, c'est Camille qui s'y collait. Au bout de quelques assiettes de pâtes trop cuites, de Picard raté et d'omelettes brûlées, Paulette se mit en tête de lui inculquer certaines notions de cuisine. Elle restait assise devant la gazinière et lui apprit des mots aussi simples que : bouquet garni, cocotte en fonte, poêle chaude et court-bouillon. Sa vue était mauvaise, mais, à l'odeur, elle lui indiquait la marche à suivre... Les oignons, les lardons, tes morceaux de viande, là, c'est bien, top. Mouille-moi tout ça... Vas-y, je te dirai... Top !
— C'est bien. Je ne dis pas que je ferai de toi un cordon-bleu, mais enfin...
— Et Franck ?
— Franck quoi ?
- C'est vous qui lui avez tout appris ?
- Pas tout, non ! Je lui ai donné le goût, j'imagine... Mais les grandes choses, ce n'est pas moi... Je lui ai appris la cuisine de ménage... Des plats simples, rustiques et bon marché... Quand mon mari a été arrêté à cause de son cœur, je suis entrée dans une maison bourgeoise comme cuisinière...
— Et il venait avec vous ?
- Eh oui! Que voulais-tu que j'en fasse quand il était petit? Bon et puis après, il n'est plus venu bien sûr... Après...
— Après quoi ?