Il se leva. Ils étaient aussi embarrassés l'un que l'autre. C'était la première fois qu'ils se voyaient finalement... Un ange passa.
— Tu... Tu veux boire quelque chose ?
— Volontiers...
- Thé ? Café ? Coca ?
— Café, c'est parfait.
Camille prit place sur le tabouret et se demanda comment elle avait fait pour vivre ici pendant si longtemps. C'était si humide, si sombre, tellement... inexorable. Le plafond était si bas et les murs si sales... Non, ce n'était pas possible... Ce devait être une autre, alors ?
Il s'activait devant les plaques électriques et lui indiqua le pot de Nescafé. Barbès dormait sur le lit en ouvrant un œil de temps en temps.
Il finit par tirer la chaise et s'assit en face d'elle:
— Je suis content de te voir... Tu aurais pu venir plus tôt...
— Je n'osais pas.
— Ah?
— Tu regrettes de m'avoir amené ici, n'est-ce pas?
— Non.
— Si. Tu regrettes. Mais ne t'en fais pas... J'attends un feu vert et je partirai... C'est une question de jours maintenant.
— Tu vas où ?
— En Bretagne.
— Dans ta famille ?
— Non. Dans un centre de... De déchets humains. Nan, je suis con. Dans un centre de vie, c'est comme ça qu'il faut dire...
— ...
— C'est mon toubib qui m'a trouvé ça... Un truc où l'on fabrique de l'engrais avec des algues... Des algues, de la merde et des handicapés mentaux... Génial, non? Je serai le seul ouvrier normal. Enfin « normal », c'est relatif...
Il souriait.
— Tiens, regarde la brochure... Classieux, hein?
Deux gogols avec une fourche à la main se tenaient
devant une espèce de puisard.
— Je vais faire de l'Algo-Foresto, un truc avec du compost, des algues et du fumier de cheval... Je sens déjà que je vais adorer... Bon, y paraît qu'au début, c'est dur à cause de l'odeur mais qu'après on s'en rend même plus compte...
Il reposa la photo et s'alluma une cigarette.
— Les grandes vacances, quoi...
— T'y restes combien de temps ?
— Le temps qu'il faudra...
— T'es sous méthadone ?
— Oui.
— Depuis quand ?
Geste vague.
- Ça va ?
- Non.
- Allez... Tu vas voir la mer !
- Super... Et toi ? Pourquoi t'es là ?
- C'est la concierge... Elle pensait que t'étais mort...
— Elle va être déçue...
— C'est clair.
Ils riaient.
- Tu... T'es HIV aussi ?
— Nan. Ça c'était juste pour lui faire plaisir... Pour qu'elle s'attache à mon clebs... Nan, nan... J'ai fait ça bien. Je me suis bousillé proprement.
— C'est ta première cure ?
— Oui.
— Tu vas y arriver ?
— Oui
- ...
— J'ai eu de la chance... Il faut croiser les bonnes personnes, j'imagine... et je... je crois que je les tiens, là...
— Ton médecin ?
—
— C'est quoi ? Un médicament ?
Non, c'est un produit pour décaper le bois...
— Ah oui ! Une bouteille vert et rouge, non ?
— Si tu le dis... Eh ben ce mec, c'est mon V33. Il met et le produit, ça brûle, ça fait des cloques et le coup d'après, il prend sa spatule et décolle toute la merde... Regarde-moi. Sous mon crâne je suis nu comme un ver !
Il n'arrivait plus à sourire, ses mains tremblaient :
- Putain, c'est dur... C'est trop dur... Je pensais pas que...
Il releva la tête.
- Et puis euh... Y a eu quelqu'un d'autre aussi... Une petite nana avec des cuisses de mouche qu'a remonté son fute avant que j'aie eu le temps d'en voir plus, hélas...
— C'est quoi ton nom ?
— Camille.
Il le répéta encore et se tourna vers le mur :
— Camille... Camille... Le jour où t'es apparue, Camille, j'avais un mauvais rencard... Il faisait trop froid et j'avais plus tellement envie de me battre, il me semble... Mais, bon. T'étais là... Alors je t'ai suivie... Je suis galant comme mec...
Silence.
— Je peux te parler encore ou t'en as marre, là ?
— Ressers-moi une tasse...
— Excuse-moi. C'est à cause du vieux... Je suis devenu un vrai moulin à paroles...
— Pas de problème, je te dis.
— Nan, mais c'est important en plus... Enfin, même pour toi, je crois que c'est important...
Elle fronça les sourcils.
— Ton aide, ta piaule, ta bouffe et tout, c'est une chose mais je te dis, j'étais vraiment dans un mauvais trip quand tu m'as trouvé... J'avais le vertige, tu comprends ? Je voulais retourner les voir, je... J'ai... Et c'est ce mec-là qui m'a sauvé. Ce mec, et tes draps.
Il le ramassa et le posa entre eux deux. Camille reconnut son livre. C'était les lettres de Van Gogh à son frère.
Elle avait oublié qu'il était là.
C'était pas faute de se l'avoir trimbalé pourtant...
— Je l'ai ouvert pour me retenir, pour m'empêcher de passer la porte, parce qu'il n'y avait rien d'autre ici et tu sais ce qu'il m'a fait ce bouquin ?
Elle secoua la tête.
— Il m'a fait ça, ça et ça.
Il l'avait repris pour se frapper le crâne et les deux joues.