- Non. On ne peut pas planter ça ! Rappelle-toi qu'on ne vient qu'une fois par semaine. Il nous faut du costaud, du vivace... Des lupins si tu veux, des phlox, des cosmos... C'est très joli, ça, les cosmos... Tout légers... Ça te plairait, tiens...
Et Franck, par l'intermédiaire du beau-frère du collèguee de la sœur du gros Titi, se dégota une vieille moto pour aller au marché ou dire bonjour à René...
Il avait donc tenu trente-deux jours sans bécane et se demandait encore comment il avait fait...
Elle était vieille, elle était moche mais elle pétaradait du tonnerre :
— Écoutez-moi ça, leur criait-il depuis l'appentis où il échouait quand il n'était pas en cuisine, écoutez-moi cette merveille !
Tous levèrent mollement la tête de leurs semis ou de leur livre.
« Pêêêêt pet pet pet pet »
— Alors ? C'est dingue non ? On dirait une Harley !
Mouaif... Ils retournèrent à leurs distractions sans se fendre du moindre commentaire...
— Pff... Vous comprenez rien...
— Qui c'est ça, Ariette ? demanda Paulette à Camille.
— Ariette Davidson... Une super chanteuse...
— Connais pas.
Philibert inventa un jeu pour les trajets. Chacun devait apprendre quelque chose aux autres dans l'idée de transmettre un savoir.
Philibert aurait été un excellent professeur...
Un jour, Paulette leur raconta comment prendre des hannetons :
— Au matin, quand ils sont encore engourdis par la froideur de la nuit et qu'ils sont immobiles sur leurs feuilles, on secoue les arbres où ils se tiennent, on remue les branches avec une gaule et on les recueille sur une toile. On les pilonne, on les recouvre de chaux et on les met dans une fosse, ça fait du très bon compost azoté... Et ne pas oublier de se couvrir la tête !
Un autre jour, Franck leur découpa un veau :
— Bon, les morceaux de première catégorie d'abord : la noix, la sous-noix, la noix pâtissière, la culotte, la longe, le filet mignon, le carré couvert, c'est-à-dire les cinq côtes premières et les trois côtes secondes, le carré découvert et l'épaule. De deuxième catégorie à présent : la poitrine, les tendrons et le flanchet. De troisième catégorie enfin : la crosse, le jarret et... Ah, putain, y m'en manque un...
Philibert, lui, donnait des cours de rattrapage à ces mécréants qui ne savaient rien d'Henri IV à part sa poule au pot, son Ravaillac et sa célèbre bite
— Henri IV est né à Pau en 1553 et est mort à Paris en 1610. Il est le fils d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret. Une de mes lointaines cousines entre parenthèses. En 1572, il épouse la fille d'Henri II, Marguerite de Valois, une cousine de ma mère, elle. Chef du parti calviniste, il abjurera le protestantisme pour échapper à la Saint-Barthélémy. En 1594, il se fait sacrer à Chartres et entre dans Paris. Par l'édit de Nantes en 1598, il rétablit la paix religieuse. Il était très populaire. Je vous passe toutes ses batailles, vous vous en fichez bien, j'imagine... Mais il est important de se souvenir qu'il fut entouré, entre autres, de deux grands hommes : Maximilien de Béthune, duc de Sully, qui assainit les finances du pays et Olivier de Serres qui fut une bénédiction pour l'agriculture de l'époque...
Camille, elle, ne voulait rien raconter.
— Je ne sais rien, disait-elle, et ce que je crois, je n'en suis pas sûre...
— Parle-nous de peintres ! l'encouragèrent-ils. De mouvements, de périodes, de tableaux célèbres, ou même de ton matos si tu veux !
— Non, je sais pas dire, tout ça... J'aurais trop peur de vous tromper...
— C'est quoi ta période préférée ?
- La Renaissance.
- Pourquoi ?
- Parce que... Je ne sais pas... Tout est beau. Partout... Tout...
— Tout quoi ?
— Tout.
— Bon... plaisanta Philibert, merci. C'était on ne peut plus concis. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je tiens à signaler que
— Et dis-nous qui tu aimes... ajouta Paulette.
— Comme peintres ?
— Oui.
— Euh... Dans n'importe quel ordre, alors... Rembrandt, Durer, Vinci, Mantegna, Le Tintoret, La Tour, Turner, Bonington, Delacroix, Gauguin, Vallotton, Corot, Bonnard, Cézanne, Chardin, Degas, Bosch, Vélasquez, Goya, Lotto, Hiroshige, Piero délia Francesca, Van Eyck, les deux Holbein, Bellini, Tiepolo, Poussin, Monet, Chu Ta, Manet, Constable, Ziem, Vuillard euh... C'est horrible, je dois en oublier plein...
— Et tu ne peux pas nous dire quelque chose sur l'un de ces types ?
— Non.
— Au hasard... Bellini... Pourquoi tu l'aimes celui-là ?
— À cause de son portrait du doge Leonardo Loredan...
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas... Il faut aller à Londres, à la National Gallery si je me souviens bien, et regarder ce tableau pour avoir la certitude que l'on est... C'est... C'est... Non, j'ai pas envie de mettre mes grosses paluches là-dessus...
— Bon... se résignèrent-ils, ce n'est qu'un jeu après tout... On ne va pas t'obliger...