— C'est magnifique ce que tu as fait là, tu sais... Magnifique... On l'entend ronronner ton chat... Oh, Camille...
Il avait sorti un gros mouchoir, plein de taches de peinture, et se mouchait bruyamment.
— Écoute-moi, petite fille, je ne suis qu'un vieux bonhomme et un mauvais peintre qui plus est, mais écoute-moi bien... Je sais que la vie n'est pas facile pour toi, j'imagine que ce n'est pas toujours drôle à la maison et j'ai appris aussi pour ton papa, mais... Non, ne pleure pas... Tiens, prends mon mouchoir... Mais il y a une chose que je dois te dire : les gens qui s'arrêtent de parler deviennent fous. Chu Ta, par exemple, je ne te l'ai pas dit tout à l'heure, mais il est devenu fou et très malheureux aussi... Très, très malheureux et très, très fou. Il n'a retrouvé la paix que lorsqu'il était un vieillard. Tu ne vas pas attendre d'être une vieillarde, toi, n'est-ce pas ? Dis-moi que non. Tu es très douée, tu sais ? Tu es la plus douée de tous les élèves que j'aie jamais eus, mais ce n'est pas une raison, Camille... Ce n'est pas une raison... Le monde d'aujourd'hui n'est plus comme celui de Chu Ta et tu dois te remettre à parler. Tu es obligée, tu comprends ? Sinon, ils vont t'enfermer avec de vrais fous et personne ne verra jamais tous tes beaux dessins...
L'arrivée de sa mère les interrompit. Camille se leva et la prévint, d'une voix rauque et saccadée :
— Attends-moi... Je n'ai pas fini de ranger mes affaires...
Un jour, il n'y a pas très longtemps, elle reçut un paquet mal ficelé accompagné d'un petit mot :
Camille ne put retenir ses larmes en découvrant le matériel de peinture chinoise de son vieux professeur, celui-là même dont elle se servait à présent...
* * *
Intriguée, la serveuse vint récupérer la tasse vide et jeta un œil sur la nappe. Camille venait d'y dessiner une multitude de bambous. Leurs tiges et leurs feuilles étaient ce qu'il y avait de plus difficile à réaliser.
Le support, de mauvaise qualité, se gondolait et buvait l'encre beaucoup trop rapidement.
— Vous permettez ? demanda la jeune fille.
Elle lui tendait un paquet de nappes vierges. Camille se recula et posa son travail sur le sol. Le vieux gémissait, la serveuse l'engueula.
— Qu'est-ce qu'il dit ?
— Il râle parce qu'il ne peut pas voir ce que vous faites...
Elle ajouta :
— C'est mon grand-oncle... Il est paralysé...
— Dites-lui que le prochain sera pour lui...
La jeune fille revint vers le bar et prononça quelques paroles à son intention. Il se calma et regarda Camille sévèrement.