L'ange courroucé était maintenant perché sur son épaule avec son guide de la Baronne Staffe sous le bras. Il s'en donnait à cœur joie : « Eh bien, mon ami, vous êtes content de vous, n'est-ce pas ? Ah ! Il est bien, là, notre preux chevalier ! Mes félicitations, vraiment... Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait, à présent ? » Philibert était totalement désorienté. Camille murmura :
— ... soif...
Son sauveur se précipita dans la cuisine, mais l'autre rabat-joie l'attendait au bord de l'évier : « Mais, oui ! Mais continuez... Et le dragon alors ? Vous n'y allez pas, combattre le dragon ? », « Oh, toi, ta gueule ! » lui répondit Philibert. Il n'en revenait pas et repartit au chevet de sa malade le cœur plus léger. Finalement ce n'était pas si compliqué. C'est Franck qui avait raison : quelquefois un bon juron valait mieux qu'un long discours. Ainsi ragaillardi, il la fit boire et prit son courage à deux mains : il la déshabilla.
Ce ne fut pas facile car elle était plus couverte qu'un oignon. Il lui ôta d'abord son manteau, puis sa veste en jean. Vint ensuite un pull, un deuxième, un col roulé et enfin, une espèce de liquette à manches longues. Bon, se dit-il, je ne peux pas la lui laisser, on pourrait presque l'essorer... Bon, tant pis, je verrai son... Enfin son soutien... Horreur ! Par tous les saints du ciel ! Elle n'en portait pas ! Vite, il rabattit le drap sur sa poitrine. Bien... Le bas maintenant... Il était plus à l'aise car il pouvait manœuvrer à tâtons en passant par-dessous la couverture. Il tira de toutes ses forces sur les jambes de son pantalon. Dieu soit loué, la petite culotte n'était pas venue avec...
— Camille ? Vous avez le courage de prendre une douche ?
Pas de réponse.
Il secoua la tête de désapprobation, alla dans la salle de bains, remplit un broc d'eau chaude dans lequel il versa un peu d'eau de Cologne et s'arma d'un gant de toilette.
Courage, soldat !
Il défit le drap et la rafraîchit du bout du gant d'abord, puis plus vaillamment.
Il lui frotta la tête, le cou, le visage, le dos, les aisselles, les seins puisqu'il le fallait, et pouvait-on appeler cela des seins, d'ailleurs ? Le ventre et les jambes. Pour le reste, ma foi, elle verrait... Il essora le gant et le posa sur son front.
Il lui fallait de l'aspirine à présent... Il empoigna si fort le tiroir de la cuisine qu'il en renversa tout le contenu sur le sol. Fichtre. De l'aspirine, de l'aspirine...
Franck se tenait sur le pas de la porte, le bras passé sous son tee-shirt en train de se gratter le bas-ventre :
— Houâââ, fit-il en bâillant, qu'est-ce qui se passe ici ? C'est quoi tout ce merdier ?
— Je cherche de l'aspirine...
— Dans le placard...
— Merci.
— T'as mal au crâne ?
— Non, c'est pour une amie...
— Ta copine du septième ?
— Oui. Franck ricana :
— Attends, t'étais avec elle, là ? T'étais là-haut ?
— Oui. Pousse-toi, s'il te plaît...
— Arrête, j'y crois pas... Ben t'es plus puceau alors !
Ses sarcasmes le poursuivaient dans le couloir :
— Hé ? Elle te fait le coup de la migraine dès le premier soir, c'est ça ? Putain, ben t'es mal barré, mon gars...
Philibert referma la porte derrière lui, se retourna et murmura distinctement : « Ta gueule à toi aussi... »
Il attendit que le comprimé ait rendu toutes ses bulles puis la dérangea une dernière fois. Il crut l'entendre chuchoter « papa... ». À moins que ce ne fût « pas... pas... » car elle n'avait probablement plus soif. Il ne savait pas.
Il remouilla le gant, tira les draps et resta là un moment.
Interdit, effrayé et fier de lui.
Oui, fier de lui.
21
Camille fut réveillée par la musique de U2. Elle crut d'abord être chez les Kessler et s'assoupit de nouveau. Non, s'embrouillait-elle, non, ce n'était pas possible ça... Ni Pierre, ni Mathilde, ni leur bonne ne pouvaient balancer Bono à plein volume de cette manière. Il y avait un truc qui ne collait pas, là... Elle ouvrit lentement les yeux, gémit à cause de son crâne et attendit dans la pénombre de pouvoir reconnaître quelque chose.
Mais où était-elle ? Qu'est-ce que... ?
Elle tourna la tête. Tout son corps regimbait. Ses muscles, ses articulations et son peu de chair lui refusaient le moindre mouvement. Elle serra les dents et se releva de quelques centimètres. Elle frissonnait et était de nouveau couverte de transpiration.
Son sang lui battait les tempes. Elle attendit un moment, immobile et les yeux clos, que la douleur s'apaise.