Je vois Monsieur ce que Son Excellence Monsieur le baron de Schaphiroff a eu la bonté de vous écrire en considération de l’alliance du sang que j’ay l’honneur d’avoir avec vous; je vous suis sensiblement obligé Monsieur des avis que vous me faittes la grâce de me donner touchant la prétendue querelle qu’on dit que j’ay avec Son Excellence Monsieur le conseiller privé comte de Matveoff.
J’auray l’honneur de vous dire Monsieur que c’est une grande injustice qu’il me fait en se plaignant de moy, puisque j’ay tousjours eu tout le respect et toutte la vénération due à son caractère.
Le devoir que je dois à l’auguste service de Sa Majesté Czarienne notre très auguste maistre et la direcction de l’accademie dont il luy a plû m’honnorer, m’a obligé de faire journellement des représentations à Son Excellence Monsieur le comte de Matveoff pour me faire fournir ce que j’avois besoin pour l’établissement de cette academie, affin de me disposer d’executer les ordres que j’ay de Sa Majesté, il m’a été toujours imposible d’avoir pû rien obtenir de luy; il m’a même révoqué les ordres que j’avois de Sa Majesté pour l’etablissement et la discipline de l’accademie; je me suis plaint comme vous scavez Monsieur à Sa Majesté, j’en portay encore mes plaintes à Son Altesse Serenissime Monseigneur le prince Mensicoff et à Son Excellence Monseigneur le grand admirai lorsqu’il fut de retour de sa campagne de Finlande. Je l’informay encore de l’etat de l’accademie et de l’imposibilité où j’estoy d’en pouvoir executer mes engagements par les oppo[sit]ions que le comte Matveoff y faisoit.
Dois-je passer sous silence la conduitte dudit comte Matveoff contre les interests particuliers de Sa Majesté et à mon devoir.
Que dois-je faire dans une accademie qu’on m’a obligé d’établir par contract d’abord qu’on me révoqué les reglement [s] que j’en ay fait, lesquels ont été approuvé de Sa Majesté.
Je suis trop honneste homme pour prétendre manger le pain d’un monarque sans pouvoir luy rendre aucun service. Ainsy je n’ay rien autre chose à me reprocher dans ma conduitte (c’uposé [=supposé] que ce soit un reproche que je doit me faire auprès de Son Excellence Monsieur le comte de Matveoff ) que de luy avoir représenté que tous ce qui s est fait par son ordre dans l’accademie ne servoit à autre chose que empecher rétablissement et par conséquent des dépenses inutilles.
Je ne pouvois pas faire de moins pour me mettre à couvert des evenemens puisque Sa Majesté m’auroit demandé tost ou tard pourquoy est-ce que je n’avois pas exécuté les promesses que je luy avois fait par mon dit reglement; à quoy m’auroit-il servy alors de luy dire que Son Excellence Monsieur le comte de Matveoff s’y estoit toujours opposé. Il me repondroit sans doute pourquoy est-ce que je l’aurois laissé faire et de ne m’en estre pas plaint. Le comte Matveoff n auroit pas manqué de dire alors que comme je ne luy avois rien dit qu’il avoit crû bien faire et qu’estant directeur general de l’accademie, j’aurois dû luy représenter mes sentimens.
Je vous laisse présentement à juger Monsieur ce que Sa Majesté auroit pû penser de moy après quoy je vous suplie très humblement Monsieur, de représenter à Son Excellence Monsieur le baron de Schaphiroff touttes mes raisons ci-dessus alléguées et le prier de me rendre la justice qui m’est deüs [=due]. Il est trop éclairé et trop équitable pour ne pas me la rendre.
Le jour de Noël et le premier de l’an je fus chez Monsieur le comte Matveoff pour luy rendre mes devoirs et je l’assurais par beaucoup de protestations que j’eü l’honneur de luy faire, que je ne pouvois pas faire autrement pour le service de notre très auguste maistre de m’être opposé à tous ce qu’il vouloit faire dans l’accademie et que s’il vouloit remettre les choses sur le pied que Sa Majesté l’avoit ordonné avant son départ, je prenois tous les évènements sur moi-même, et que je me soûmetois de perdre ma tête si je ne l’etablissois comme je m’y estois engagé, qu’autrement j’estois forcé de tous abandonner, affin de ne me point rendre responsable du mal qu’il y avoit dans l’accademie.
Voyez Monsieur si après cette démarché l’on doit m’imputer quelque chose.
Si je suis assé malheureux d’être privé du service de Sa Majesté Czarienne, je veux du moins que l’on sache que ce n’est point par manque de mon devoir ni pour être incapable de la servire, j’aime mieux estre disgracié pour un motif de bien faire que par celuy de l’ignorance. Je crois cependant Sa Majesté trop équitable pour ne pas me rendre justice puisque je n’ay d’autres intentions que de la bien et fidellement servir et de mériter par là ses grâces.