Face à Harry, Tonks amusait Hermione et Ginny en changeant la forme de son nez entre deux bouchées. Plissant les yeux avec la même expression crispée qu’elle avait eue dans la chambre de Harry, elle fit enfler son nez en une sorte de bec qui ressemblait à s’y méprendre au nez de Rogue. Puis elle le réduisit à la taille d’un petit champignon d’où jaillirent deux énormes touffes de poils. Apparemment, c’était un spectacle qu’elle offrait régulièrement au cours des repas car Hermione et Ginny lui demandèrent bientôt leurs nez préférés.
– Fais celui en forme de groin, Tonks.
Tonks s’exécuta et Harry eut soudain la fugitive impression de voir devant lui une version féminine de Dudley lui adresser un grand sourire.
Mr Weasley, Bill et Lupin étaient plongés dans une grande discussion sur les gobelins.
– Ils ne laissent rien deviner, dit Bill. Je n’arrive toujours pas à savoir s’ils croient ou non à son retour. Il est possible, bien sûr, qu’ils refusent de prendre parti. Qu’ils préfèrent rester en dehors.
– Moi, je suis sûr qu’ils ne se rangeront jamais du côté de Tu-Sais-Qui, assura Mr Weasley en hochant la tête. Eux aussi ont subi des pertes. Tu te souviens de cette famille de gobelins qu’il a assassinée la fois dernière, dans la région de Nottingham ?
– Je crois que ça va dépendre de ce que nous leur proposerons, dit Lupin. Et je ne parle pas d’or. Si nous leur offrons la liberté que nous leur avons toujours refusée pendant des siècles, alors ils seront tentés d’être avec nous. Tu n’as toujours rien pu tirer de Ragnok, Bill ?
– Il est très antisorcier, ces temps-ci, répondit Bill. Il ne cesse de fulminer à propos de l’histoire Verpey, il pense que le ministère a étouffé l’affaire. Ces gobelins n’ont jamais récupéré leur or, comme tu le sais…
Des éclats de rire couvrirent la voix de Bill. Fred, George, Ron et Mondingus se tenaient les côtes.
– … Et alors, dit Mondingus en s’étouffant à moitié, des larmes coulant sur son visage, vous n’allez pas me croire, il me dit – écoutez bien –, il me dit : « Hé, Ding, où ce que t’as trouvé tous ces crapauds ? Parce que moi, y a un fils de Cognard qui m’a piqué tous les miens ! » Et moi, je lui dis : « Piqué tes crapauds, Will, ça alors ! Du coup, il t’en faut d’autres ? » Et c’est là que vous allez pas me croire, les gars, mais cette espèce de gargouille abrutie me rachète ses propres crapauds beaucoup plus cher que ce qu’il les avait payés la première fois…
– Je crois que nous en avons assez entendu sur votre façon de faire des affaires, merci beaucoup, Mondingus, dit Mrs Weasley d’un ton sec tandis que Ron s’écroulait sur la table en hurlant de rire.
– Vous demande pardon, Molly, dit aussitôt Mondingus en essuyant ses larmes avec un clin d’œil à Harry, mais en fait, Will les avait piqués à Harris Laverrue, alors je ne faisais rien de mal.
– Je ne sais pas où vous avez appris les notions de bien et de mal, Mondingus, mais j’ai l’impression que vous avez raté quelques leçons fondamentales, répliqua froidement Mrs Weasley.
Fred et George plongèrent dans leurs coupes de Bièraubeurre. George avait le hoquet. Mrs Weasley jeta un regard féroce à Sirius avant de se lever et d’aller chercher une grosse tarte à la rhubarbe. Harry se tourna vers son parrain.
– Molly n’aime pas beaucoup Mondingus, dit Sirius à mi-voix.
– Comment se fait-il qu’il soit membre de l’Ordre ? chuchota Harry.
– Il est utile. Il connaît tous les escrocs – c’est normal puisqu’il en est un lui-même. Mais il est aussi très loyal envers Dumbledore qui l’a sorti d’un mauvais pas, un jour. Ça sert d’avoir quelqu’un comme Ding avec nous, il entend des choses qui nous échappent. Mais Molly trouve qu’on va trop loin en l’invitant à dîner. Elle ne lui a pas pardonné d’avoir quitté son poste alors qu’il était chargé de te surveiller.
Après avoir repris trois fois de la tarte à la rhubarbe accompagnée de crème anglaise, Harry sentit son jean le serrer un peu trop (ce qui en disait long, car c’était un ancien jean de Dudley). Quand il posa enfin sa cuillère, la rumeur des conversations avait faibli. Mr Weasley s’était laissé aller contre le dossier de sa chaise, l’air rassasié et détendu. Tonks, dont le nez avait repris sa forme habituelle, bâillait à s’en décrocher la mâchoire et Ginny, qui avait réussi à faire sortir Pattenrond de sous le buffet, était assise en tailleur par terre et lui lançait des bouchons de Bièraubeurre pour qu’il coure après.
– Je crois qu’il va être temps d’aller se coucher, dit Mrs Weasley en bâillant à son tour.
– Pas encore, Molly, répondit Sirius qui repoussa son assiette vide et se tourna vers Harry. Tu sais, je suis un peu surpris. Je pensais que la première chose que tu ferais en arrivant ici serait de poser des questions sur Voldemort.