– Madame, répondit le baron, c’est bien plutôt lui qui me mettrait, moi et ma maison, dans une boîte.
– Vous piquez ma curiosité, en vérité, dit Marie-Antoinette; décidément, monsieur, je veux le voir.
Le ton dont avaient été prononcées ces paroles, tout en gardant ce charme que Marie-Antoinette savait donner à ses paroles, n’admettait cependant point de réplique. Le baron, qui était resté debout avec son fils et sa fille pour servir la dauphine, le comprit parfaitement. Il fit un signe à La Brie, qui, au lieu de servir, contemplait les illustres convives et semblait se payer, par cette vue, de vingt ans de gages arriérés.
Celui-ci releva la tête.
– Allez prévenir M. le baron Joseph Balsamo, dit Taverney, que Son Altesse royale madame la dauphine désire le voir.
La Brie partit.
– Joseph Balsamo! dit la dauphine; quel singulier nom est-ce là?
– Joseph Balsamo! répéta en rêvant le cardinal; je connais ce nom, il me semble.
Cinq minutes s’écoulèrent sans que personne eût l’idée de rompre le silence.
Tout à coup Andrée tressaillit: elle entendait, bien avant qu’il fût perceptible aux autres oreilles, un pas qui s’avançait sous la feuillée.
Les branches s’écartèrent et Joseph Balsamo apparut, juste en face de Marie Antoinette.
Chapitre XV Magie
Balsamo s’inclina humblement; mais presque aussitôt, relevant sa tête pleine d’intelligence et d’expression, il attacha fixement, quoique avec respect, son regard clair sur la dauphine, et attendit silencieusement que celle-ci l’interrogeât.
– Si c’est vous dont vient de nous parler M. de Taverney, dit Marie-Antoinette, approchez-vous, monsieur, que nous voyions comment est fait un sorcier.
Balsamo fit encore un pas et s’inclina une seconde fois.
– Vous faites métier de prédire, monsieur, dit la dauphine regardant Balsamo avec une curiosité plus grande peut-être qu’elle n’eût voulu la lui accorder, et en buvant son lait à petites gorgées.
– Je n’en fais pas métier, madame, dit Balsamo, mais je prédis.
– Nous avons été élevée dans une foi éclairée, dit la dauphine, et les seuls mystères auxquels nous ajoutions foi sont les mystères de la religion catholique.
– Ils sont vénérables sans doute, dit Balsamo avec un recueillement profond. Mais voilà M. le cardinal de Rohan qui dira à Votre Altesse, tout prince de l’Église qu’il est, que ce ne sont point les seuls mystères qui méritent le respect.
Le cardinal tressaillit; il n’avait dit son nom à personne, personne ne l’avait prononcé, et cependant l’étranger le connaissait.
Marie-Antoinette ne parut point remarquer cette circonstance, et continua:
– Vous avouerez du moins, monsieur, que ce sont les seuls que l’on ne controverse point.
– Madame, répondit Balsamo avec le même respect, mais avec la même fermeté, à côté de la foi il y a la certitude.
– Vous parlez un peu obscurément, monsieur le sorcier, je suis bonne Française de cœur, mais pas encore d’esprit, et je ne comprends pas très bien les finesses de la langue: il est vrai que l’on m’a dit que M. de Bièvre m’apprendrait tout cela; mais, en attendant, je suis forcée de vous prier d’être moins énigmatique, si vous voulez que je vous comprenne.
– Et moi, dit Balsamo en secouant la tête avec un mélancolique sourire, je demanderai à Votre Altesse la permission de rester obscur. J’aurais trop de regret de dévoiler à une si grande princesse un avenir qui, peut-être, ne serait point selon ses espérances.
– Oh! oh! ceci est plus grave, dit Marie-Antoinette, et monsieur veut piquer ma curiosité, espérant que j’exigerai de lui qu’il me dise ma bonne aventure.
– Dieu me préserve, au contraire, d’y être forcé, madame, dit froidement Balsamo.
– Oui, n’est-ce pas? reprit la dauphine en riant; car cela vous embarrasserait fort.
Mais le rire de la dauphine s’éteignit sans que le rire d’aucun courtisan lui fît écho. Tout le monde subissait l’influence de l’homme singulier qui était pour le moment le centre de l’attention générale.
– Voyons, avouez franchement, dit la dauphine.
Balsamo s’inclina sans répondre.
– C’est vous cependant qui avez prédit mon arrivée à M. de Taverney? reprit Marie-Antoinette avec un léger mouvement d’impatience.
– Oui, madame, c’est moi.
– Comment cela, baron? demanda la dauphine qui commençait à éprouver le besoin d’entendre une autre voix se mêler à l’étrange dialogue qu’elle regrettait peut-être d’avoir entrepris, mais qu’elle ne voulait pas cependant abandonner.
– Oh! mon Dieu, madame, dit le baron, de la façon la plus simple, en regardant dans un verre d’eau.
– Est-ce vrai? interrogea la dauphine revenant à Balsamo.
– Oui, madame, répondit celui-ci.
– C’est là votre grimoire? Il est innocent du moins; puissent vos paroles être aussi claires!
Le cardinal sourit.
Le baron s’approcha.
– Madame la dauphine n’aura rien à apprendre de M. de Bièvre, dit-il.
– Oh! mon cher hôte, dit la dauphine avec gaieté, ne me flattez pas, ou flattez-moi mieux. J’ai dit quelque chose d’assez médiocre, ce me semble. Revenons à monsieur.