Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

Tristes curieux, hélas! car c’étaient les parents et les amis inquiets qui n’avaient vu rentrer ni leurs frères, ni leurs amis, ni leurs maîtresses. Or, ils arrivaient des quartiers les plus éloignés, car l’horrible nouvelle s’était déjà répandue dans Paris, désolante comme un ouragan, et les anxiétés s’étaient subitement traduites en recherches.

C’était un spectacle plus affreux à voir peut-être que celui de la catastrophe.

Toutes les impressions se peignaient sur ces visages pâles, depuis le désespoir de ceux qui retrouvaient le cadavre bien-aimé jusqu’au morne doute de celui qui ne retrouvait rien et qui jetait un coup d’œil avide vers la rivière, qui coulait monotone et frémissante.

On disait que bien des cadavres avaient déjà été jetés au fleuve par la prévôté de Paris, qui, coupable d’imprudence, voulait cacher ce nombre effrayant de morts que son imprudence avait faits.

Puis, quand ils ont rassasié leur vue de ce spectacle stérile, quand ils en ont été saturés, les deux pieds mouillés par l’eau de la Seine, l’âme étreinte de cette dernière angoisse que traîne avec lui le cours nocturne d’une rivière, ils partent, leur lanterne à la main, pour explorer les rues voisines de la place, où, dit-on, beaucoup de blessés se sont traînés pour avoir du secours et fuir du moins le théâtre de leurs souffrances.

Quand, par malheur, ils ont trouvé parmi les cadavres l’objet regretté, l’ami perdu, alors les cris succèdent à la déchirante surprise, et des sanglots, s’élevant vers un nouveau point du théâtre sanglant, répondent à d’autres sanglots!

Parfois encore la place retentit de bruits soudains. Tout à coup une lanterne tombe et se brise; le vivant s’est jeté à corps perdu sur le mort pour l’embrasser une dernière fois.

Il y a d’autres bruits encore dans ce vaste cimetière.

Quelques blessés dont les membres ont été brisés par la chute, dont la poitrine a été labourée par l’épée ou comprimée par l’oppression de la foule, râlent un cri ou poussent un gémissement en forme de prière, et aussitôt accourent ceux qui espèrent trouver leur ami, et qui s’éloignent quand ils ne l’ont pas reconnu.

Toutefois, à l’extrémité de la place, près du jardin, s’organise, avec le dévouement de la charité populaire, une ambulance. Un jeune chirurgien, on le reconnaît pour tel du moins à la profusion d’instruments dont il est entouré; un jeune chirurgien se fait apporter les hommes et les femmes blessés; il les panse, et, tout en les pansant, il leur dit de ces mots qui expriment plutôt la haine contre la cause que la pitié pour l’effet.

À ses deux aides, robustes colporteurs, qui lui font passer la sanglante revue, il crie incessamment:

– Les femmes du peuple, les hommes du peuple d’abord. Ils sont aisés à reconnaître, plus blessés presque toujours, moins richement parés, certainement!

À ces mots, répétés après chaque pansement avec une stridente monotonie, un jeune homme au front pâle, qui, un falot à la main, cherche parmi les cadavres, a pour la seconde fois relevé la tête.

Une large blessure qui lui sillonne le front laisse échapper quelques gouttes de sang vermeil; un de ses bras est soutenu par son habit, qui l’enferme entre deux boutons; son visage, couvert de sueur, trahit une émotion incessante et profonde.

À cette recommandation du médecin entendue, comme nous l’avons dit, pour la seconde fois, il releva la tête, et, regardant tristement ces membres mutilés que l’opérateur semblait, lui, regarder presque avec délice:

– Oh! monsieur, dit-il, pourquoi choisissez-vous parmi les victimes?

– Parce que, dit le chirurgien levant la tête à cette interpellation, parce que personne ne soignera les pauvres, si je ne pense pas à eux, et que les riches seront toujours assez recherchés! Abaissez votre lanterne et interrogez le pavé; vous trouvez cent pauvres pour un riche ou un noble. Et dans cette catastrophe encore, avec un bonheur qui finira par lasser Dieu lui-même, les nobles et les riches ont payé le tribut qu’ils payent d’ordinaire: un sur mille.

Le jeune homme éleva son falot à la hauteur de son front sanglant.

– Alors je suis donc le seul, dit-il sans s’irriter, moi, gentilhomme perdu comme tant d’autres en cette foule, moi qu’un coup de pied de cheval a blessé au front, et qui me suis brisé le bras gauche en tombant dans un fossé. On court après les riches et les nobles, dites-vous? Vous voyez bien cependant que je ne suis pas encore pansé.

– Vous avez votre hôtel, vous…, votre médecin; retournez chez vous, puisque vous marchez.

– Je ne vous demande pas vos soins, monsieur; je cherche ma sœur, une belle jeune fille de seize ans, hélas! tuée sans doute, quoiqu’elle ne soit pas du peuple. Elle avait une robe blanche et un collier avec une croix au cou; bien qu’elle ait son hôtel et son médecin, répondez-moi, par pitié: avez-vous vu, monsieur, celle que je cherche?

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