Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– Monsieur, dit le jeune chirurgien avec une véhémence fiévreuse qui prouvait que les idées exprimées par lui bouillonnaient depuis longtemps dans sa poitrine; monsieur, l’humanité me guide; c’est pour elle que je me dévoue, et, quand je laisse sur son lit de mort l’aristocratie pour relever le peuple en souffrance, j’obéis à la loi véritable de cette humanité dont j’ai fait ma déesse. Tous les malheurs arrivés aujourd’hui viennent de vous; ils viennent de vos abus, de vos envahissements; supportez-en donc les conséquences. Non, monsieur, je n’ai pas vu votre sœur.

Et, sur cette foudroyante apostrophe, l’opérateur se remet à la besogne. On venait de lui apporter une pauvre femme dont un carrosse avait broyé les deux jambes.

– Voyez, ajouta-t-il en poursuivant de ce cri Philippe qui s’enfuyait, voyez, sont-ce les pauvres qui lancent dans les fêtes publiques leurs carrosses de façon à broyer les jambes des riches?

Philippe, qui appartenait à cette jeune noblesse qui nous a donné les La Fayette et les Lameth, avait plus d’une fois professé les mêmes maximes qui l’épouvantaient dans la bouche de ce jeune homme: leur application retomba sur lui comme un châtiment.

Le cœur brisé, il s’éloigna des environs de l’ambulance pour suivre sa triste exploration; au bout d’un instant, emporté par la douleur, on l’entendit crier d’une voix pleine de larmes:

– Andrée! Andrée!

Près de lui passait en ce moment, marchant d’un pas précipité, un homme déjà vieux, vêtu d’un habit de drap gris, de bas drapés, et de la main droite s’appuyant sur une canne, tandis que, de la gauche, il tenait une de ces lanternes faites d’une chandelle enfermée dans du papier huilé.

Entendant gémir ainsi Philippe, cet homme comprit ce qu’il souffrait, et murmura:

– Pauvre jeune homme!

Mais, comme il paraissait être venu pour une cause pareille à la sienne, il passa outre.

Puis tout à coup, comme s’il se fût reproché d’être passé devant une si grande douleur sans avoir essayé d’y apporter quelque consolation:

– Monsieur, lui dit-il, pardonnez-moi de mêler ma douleur à la vôtre, mais ceux qui sont frappés du même coup doivent s’appuyer l’un à l’autre pour ne pas tomber. D’ailleurs… vous pouvez m’être utile. Vous cherchez depuis longtemps, car votre bougie est près de s’éteindre, vous devez donc connaître les endroits les plus funestes de la place.

– Oh! oui, monsieur je les connais.

– Eh bien! moi aussi, je cherche quelqu’un.

– Alors, voyez d’abord au grand fossé; là, vous trouverez plus de cinquante cadavres.

– Cinquante, juste ciel! tant de victimes tuées au milieu d’une fête!

– Tant de victimes, monsieur! J’ai déjà éclairé mille visages, et je n’ai pas encore retrouvé ma sœur.

– Votre sœur?

– C’est là-bas, dans cette direction, qu’elle était. Je l’ai perdue près d’un banc. J’ai retrouvé la place où je l’avais perdue, mais d’elle, nulle trace. Je vais recommencer à la chercher à partir du bastion.

– De quel côté allait la foule, monsieur?

– Vers les bâtiments neufs, vers la rue de la Madeleine.

– Alors, ce doit être de ce côté?

– Sans doute; aussi ai-je cherché de ce côté d’abord; mais il y avait de terribles remous. Puis le flot allait par là, c’est vrai; mais une pauvre femme qui a la tête perdue ne sait où elle va, et cherche à fuir dans toutes les directions.

– Monsieur, c’est peu probable qu’elle ait lutté contre le courant; je vais chercher du côté des rues; venez avec moi, et, tous deux réunis, peut-être nous trouverons.

– Et que cherchez-vous? votre fils? demanda timidement Philippe.

– Non, monsieur, mais un enfant que j’avais presque adopté.

– Vous l’avez laissé venir seul?

– Oh! c’était un jeune homme déjà: dix-huit à dix-neuf ans. Maître de ses actions, il a voulu venir, je n’ai pas pu l’empêcher. D’ailleurs, on était si loin de deviner cette horrible catastrophe!… Votre bougie s’éteint.

– Oui, monsieur.

– Venez avec moi, je vous éclairerai.

– Merci, vous êtes bien bon, mais je vous gênerais.

– Oh! ne craignez rien, puisqu’il faut que je cherche pour moi-même. Le pauvre enfant rentrait d’ordinaire exactement, continua le vieillard en s’avançant par les rues; mais, ce soir, j’avais comme un pressentiment. Je l’attendais; il était onze heures déjà; ma femme apprit d’une voisine les malheurs de cette fête. J’ai attendu deux heures, espérant toujours qu’il rentrerait; ne le voyant pas rentrer, j’ai pensé qu’il serait lâche à moi de dormir sans nouvelles.

– Ainsi, nous allons vers les maisons? demanda le jeune homme.

– Oui, vous l’avez dit, la foule a dû se porter de ce côté et s’y est portée certainement. C’est là sans doute qu’aura couru le malheureux enfant! Un provincial tout ignorant, non seulement des usages, mais des rues de la grande ville. Peut-être était-ce la première fois qu’il venait sur la place Louis XV.

– Hélas! ma sœur aussi est de province, monsieur.

– Affreux spectacle! dit le vieillard en se détournant d’un groupe de cadavres entassés.

– C’est pourtant là qu’il faut chercher, dit le jeune homme, approchant résolument sa lanterne de ce monceau de corps.

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