Les deux bougies s’éteignirent, enveloppées par la bouffée de vent qui s’engouffra dans la chambre. Le dauphin, épouvanté, chancelant, ébloui, recula jusqu’à la muraille, contre laquelle il demeura adossé.
La dauphine, à demi évanouie, alla tomber sur les marches de son prie-Dieu et y demeura ensevelie dans la plus mortelle torpeur.
Louis XV, tremblant, crut que la terre allait s’abîmer sous lui et regagna, suivi de Lebel, ses appartements déserts.
Pendant ce temps, au loin s’enfuyait comme une volée d’oiseaux effarés, le peuple de Versailles et de Paris, éparpillé par les jardins, par les routes et par les bois, poursuivi dans toutes les directions par une grêle épaisse, qui, déchiquetant les fleurs dans le jardin, les feuillages dans la forêt, les seigles et les blés dans les champs, les ardoises et les fines sculptures sur les bâtiments, ajoutait le dégât à la désolation.
La dauphine, le front dans ses mains, priait avec des sanglots.
Le dauphin regardait d’un air morne et insensible l’eau qui ruisselait dans la chambre par les vitres brisées et qui reflétait sur le parquet, en nappes bleuâtres, les éclairs non interrompus pendant plusieurs heures.
Cependant, tout ce chaos se débrouilla au matin; les premiers rayons du jour, glissant sur des nuages cuivrés, découvrirent aux yeux les ravages de l’ouragan nocturne.
Versailles n’était plus reconnaissable.
La terre avait bu ce déluge d’eau; les arbres avaient absorbé ce déluge de feu; partout de la fange et des arbres brisés, tordus, calcinés par ce serpent aux brûlantes étreintes qu’on appelle la foudre.
Louis XV, qui n’avait pu dormir, tant sa terreur était grande, se fit habiller à l’aurore par Lebel, qui ne l’avait point quitté, et retourna par cette même galerie, où grimaçaient honteusement, aux livides lueurs du petit jour, les peintures que nous connaissons, peintures faites pour être encadrées dans les fleurs, les cristaux et les candélabres enflammés.
Louis XV, pour la troisième fois depuis la veille, poussa la porte de la chambre nuptiale, et frissonna en apercevant sur le prie-Dieu, renversée, pâle, avec des yeux violacés comme ceux de la sublime Madeleine de Rubens, la future reine de France, dont le sommeil avait enfin suspendu les douleurs, et dont l’aube azurait la robe blanche avec un religieux respect.
Au fond de la chambre, sur un fauteuil adossé à la muraille, reposait, les pieds chaussés de soie, étendus dans une mare d’eau, le dauphin de France, aussi pâle que sa jeune épouse, et comme elle ayant la sueur du cauchemar au front.
Le lit nuptial était comme le roi l’avait vu la veille.
Louis XV fronça le sourcil: une douleur qu’il n’avait point ressentie encore traversa comme un fer rouge ce front glacé par l’égoïsme, alors même que la débauche essayait de le réchauffer.
Il secoua la tête, poussa un soupir et rentra dans son appartement, plus sombre et plus effrayé peut-être à cette heure qu’il ne l’avait été dans la nuit.
Chapitre LXVI Andrée de Taverney
Le 30 mai suivant, c’est-à-dire le surlendemain de cette effroyable nuit, nuit, comme l’avait dit Marie-Antoinette, pleine de présages et d’avertissements, Paris célébrait à son tour les fêtes du mariage de son roi futur. Toute la population, en conséquence, se dirigea vers la place Louis XV, où devait être tiré le feu d’artifice, ce complément de toute grande solennité publique que le Parisien prend en badinant, mais dont il ne peut se passer.
L’emplacement était bien choisi. Six cent mille spectateurs y pouvaient circuler à l’aise. Autour de la statue équestre de Louis XV, des charpentes avaient été disposées circulairement, de façon à permettre la vue du feu à tous les spectateurs de la place, en élevant ce feu de dix à douze pieds au dessus du sol.
Les Parisiens arrivèrent, selon leur habitude, par groupes, et cherchèrent longtemps les meilleures positions, privilège inattaquable des premiers venus.
Les enfants trouvèrent des arbres, les hommes graves des bornes, les femmes des garde-fous, des fossés et des échafaudages mobiles dressés en plein vent par les spéculateurs bohèmes comme on en trouve à toutes les fêtes parisiennes, et à qui une riche imagination permet de changer de spéculation chaque jour.
Vers sept heures du soir, avec les premiers curieux, on vit arriver quelques escouades d’archers.
Le service de surveillance ne se fit point par les gardes-françaises, auxquelles le bureau de la ville ne voulut pas accorder la gratification de mille écus demandée par le colonel maréchal duc de Biron.