Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– Allons, madame, dit-il après un moment de silence, du courage, je vous prie; laissons ces craintes au vulgaire: l’agitation physique est une des conditions de la nature. Il ne faut pas plus s’en étonner que du calme; seulement, le calme et l’agitation se succèdent; le calme est troublé par l’agitation, l’agitation est refroidie par le calme. Après tout, madame, ce n’est qu’un orage, et un orage est un des phénomènes les plus naturels et les plus fréquents de la création. Je ne sais donc pas pourquoi on s’en épouvanterait.

– Oh! isolé, peut-être ne m’épouvanterait-il pas ainsi; mais cet orage, le jour même de nos noces, ne vous semble-t-il pas un effroyable présage joint à ceux qui me poursuivent depuis mon entrée en France?

– Que dites-vous, madame? s’écria le dauphin, ému malgré lui d’une terreur superstitieuse; des présages, dites-vous?

– Oui, oui, affreux, sanglants!

– Et ces présages, dites-les, madame; on m’accorde, en général, un esprit ferme et froid; peut-être ces présages qui vous épouvantent, aurai-je le bonheur de les combattre et de les terrasser.

– Monsieur, la première nuit que je passai en France, c’était à Strasbourg; on m’installa dans une grande chambre où l’on alluma des flambeaux, car il faisait nuit; or, ces flambeaux allumés, leur lueur me montra une muraille ruisselante de sang. J’eus cependant le courage d’approcher des parois et d’examiner ces teintes rouges avec plus d’attention. Ces murs étaient tendus d’une tapisserie qui représentait le massacre des Innocents. Partout le désespoir avec des regards désolés, le meurtre avec des yeux flamboyants, partout l’éclair de la hache ou de l’épée, partout des larmes, des cris de mère, des soupirs d’agonie semblaient s’élancer pêle-mêle de cette muraille prophétique, qui, à force de la regarder, me semblait vivante. Oh! glacée de terreur, je ne pus dormir… Et dites, dites, voyons, n’était-ce pas un triste présage?

– Pour une femme de l’Antiquité peut-être, madame, mais non pour une princesse de notre siècle.

– Monsieur, ce siècle est gros de malheurs, ma mère me l’a dit, comme ce ciel qui s’enflamme au-dessus de nos têtes est gros de soufre, de feux et de désolation. Oh! voilà pourquoi j’ai si grand-peur, voilà pourquoi tout présage me semble un avertissement.

– Madame, aucun danger ne peut menacer le trône où nous montons; nous vivons, nous autres rois, dans une région au-dessus des nuages. La foudre est à nos pieds, et, quand elle tombe sur la terre, c’est nous qui la lançons.

– Hélas! hélas! ce n’est point ce qui m’a été prédit, monsieur.

– Et que vous a-t-on prédit?

– Quelque chose d’affreux, d’épouvantable.

– On vous a prédit?

– Ou plutôt on m’a fait voir.

– Voir?

– Oui, j’ai vu, vu, vous dis-je, et cette image est restée dans mon esprit, restée si profondément, qu’il n’y a pas de jour où je ne frissonne en y songeant, pas de nuit où je ne la revoie en rêve.

– Et ne pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu? A-t-on exigé de vous le silence?

– Rien, on n’a rien exigé.

– Alors, dites, madame.

– Écoutez, c’est impossible à décrire: c’était une machine, élevée au-dessus de la terre comme un échafaud, mais à cet échafaud s’adaptaient comme les deux montants d’une échelle, et entre ces deux montants glissait un couteau, un couperet, une hache. Je voyais cela, et, chose étrange, je voyais aussi ma tête au-dessous du couteau. Le couteau glissa entre les deux montants, et sépara de mon corps ma tête, qui tomba et roula à terre. Voilà ce que j’ai vu, monsieur, voilà ce que j’ai vu.

– Pure hallucination, madame, dit le dauphin; je connais à peu près tous les instruments de supplice à l’aide desquels on donne la mort, et celui-là n’existe point; rassurez-vous donc.

– Hélas! dit Marie-Antoinette, hélas! je ne puis chasser cette odieuse pensée. J’y fais ce que je puis cependant.

– Vous y parviendrez, madame, dit le dauphin en se rapprochant de sa femme; il y a près de vous, à partir de ce moment, un ami affectueux, un protecteur assidu.

– Hélas! répéta Marie-Antoinette en fermant les yeux et en se laissant retomber sur son fauteuil.

Le dauphin se rapprocha encore de la princesse, et elle put sentir le souffle de son mari effleurer sa joue.

En ce moment, la porte par laquelle était entré le dauphin s’entrouvrit doucement, et un regard curieux, avide, le regard de Louis XV, perça la pénombre de cette vaste chambre, que deux bougies demeurées seules éclairaient à peine en coulant à flots sur le chandelier de vermeil.

Le vieux roi ouvrait la bouche pour formuler sans doute à voix basse un encouragement à son petit fils, lorsqu’un fracas qu’on ne saurait exprimer retentit dans le palais, accompagné cette fois de l’éclair qui avait toujours précédé les autres détonations; en même temps une colonne de flamme blanche, diaprée de vert, se précipita devant la fenêtre, faisant éclater toutes les vitres et écrasant une statue située sous le balcon; puis, après un déchirement épouvantable, elle remonta au ciel et s’évanouit comme un météore.

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