– Il a tiré une clef de sa poche, l’a donnée à M. le dauphin, qui a ouvert la porte et a mis le pied dans le corridor.
– Ensuite?
– Ensuite, M. le duc a fait passer son bougeoir dans la main de monseigneur et lui a dit tout bas, mais pas si bas que je n’aie pu l’entendre:
«- Monseigneur, la chambre nuptiale est au bout de cette galerie dont je viens de vous remettre la clef. Le roi désire que vous mettiez vingt minutes à arriver à cette chambre.
«- Comment! a dit le prince, vingt minutes; mais il faut vingt secondes à peine!
«- Monseigneur, a répondu M. de la Vauguyon, ici expire mon autorité. Je n’ai plus de leçons à vous donner, mais un dernier conseil: regardez bien les murailles à droite et à gauche de cette galerie, et je réponds à Son Altesse qu’elle trouvera le temps d’employer ses vingt minutes.»
– Pas mal.
– Alors, sire, M. de la Vauguyon a fait un grand salut, toujours accompagné de regards fort allumés, qui semblaient vouloir pénétrer dans le corridor; puis il a laissé monseigneur à la porte.
– Et monseigneur est entré, je suppose?
– Tenez, sire, voyez la lumière dans la galerie. Il y a au moins un quart d’heure qu’elle s’y promène.
– Allons! allons! elle disparaît, dit le roi après quelques instants passés les yeux levés sur les vitres. À moi aussi, on m’avait donné vingt minutes, mais je me rappelle qu’au bout de cinq j’étais chez ma femme. Hélas! dirait-on de M. le dauphin ce qu’on disait du second Racine: «C’est le petit-fils d’un grand-père!»
Chapitre LXV La nuit des noces de M. le dauphin
Le dauphin ouvrit la porte de la chambre nuptiale, ou plutôt de l’antichambre qui la précédait.
L’archiduchesse, en long peignoir blanc, attendait dans le lit doré, à peine affaissé par le poids si léger de son corps frêle et délicat; et, chose étrange, si l’on eût pu lire sur son front, à travers le nuage de tristesse qui le couvrait, on y eût reconnu, au lieu de la douce attente de la fiancée, la terreur de la jeune fille menacée d’un de ces dangers que les natures nerveuses voient en pressentiments et supportent quelquefois avec plus de courage qu’elles ne les ont pressentis.
Près du lit, madame de Noailles était assise.
Les dames se tenaient au fond, attentives au premier geste de la dame d’honneur qui leur ordonnerait de se retirer.
Celle-ci, fidèle aux lois de l’étiquette, attendait impassiblement l’arrivée de M. le dauphin.
Mais, comme si cette fois toutes les lois de l’étiquette et du cérémonial eussent dû céder à la malignité des circonstances, il se trouva que les personnes qui devaient introduire M. le dauphin dans la chambre nuptiale, ignorant que Son Altesse, d’après les dispositions du roi Louis XV, devait arriver par le corridor neuf, attendaient dans une autre antichambre.
Celle où venait d’entrer M. le dauphin était vide, et la porte qui donnait dans la chambre à coucher étant légèrement entrebâillée, il en résultait que M. le dauphin pouvait voir et entendre ce qui se passait dans cette chambre.
Il attendit, regardant à la dérobée, écoutant furtivement.
La voix de madame la dauphine s’éleva pure et harmonieuse, quoique un peu tremblante:
– Par où entrera M. le dauphin? demanda-t-elle.
– Par cette porte, Madame, dit la duchesse de Noailles.
Et elle montrait la porte opposée à celle où se trouvait M. le dauphin.
– Et qu’entend-on par cette fenêtre? ajouta la dauphine; on dirait le bruit de la mer?
– C’est le bruit des innombrables spectateurs qui se promènent à la lueur de l’illumination, et qui attendent le feu d’artifice.
– L’illumination? dit la dauphine avec un triste sourire. Elle n’a pas été inutile ce soir, car le ciel est bien lugubre; avez-vous vu, madame?
En ce moment, le dauphin, ennuyé d’attendre, poussa doucement la porte, passa sa tête par l’entrebâillement, et demanda s’il pouvait entrer.
Madame de Noailles poussa un cri, car elle ne reconnut pas le prince d’abord.
Madame la dauphine, jetée, par les émotions successives qu’elle avait éprouvées, dans cet état nerveux où tout nous effraie, saisit le bras de madame de Noailles.
– C’est moi, madame, dit le dauphin, n’ayez pas peur.
– Mais pourquoi par cette porte? demanda madame de Noailles.
– Parce que, dit le roi Louis XV en passant à son tour sa tête cynique par la porte entrebâillée, parce que M. de la Vauguyon, en véritable jésuite qu’il est, sait trop bien le latin, les mathématiques et la géographie, et pas assez autre chose.
En présence du roi arrivant ainsi inopinément, madame la dauphine s’était laissée glisser de son lit et se tenait debout, enveloppée de son grand peignoir, qui la cachait du bout des pieds jusqu’au col, aussi hermétiquement que la stole d’une dame romaine.
– On voit bien qu’elle est maigre, murmura Louis XV. Au diable M. de Choiseul, qui, parmi toutes les archiduchesses, va justement me choisir celle-là!
– Votre Majesté, dit madame de Noailles, peut remarquer que, quant à ce qui me concerne, l’étiquette a été strictement observée; il n’y a que du côté de Monseigneur le dauphin.