Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– Vous savez l’histoire de France, n’est-ce pas, monsieur de la Vauguyon?

– Sire, je l’ai toujours cru, et je continuerai même de le croire, à moins toutefois que Votre Majesté ne me dise le contraire.

– Eh bien, alors, vous devez savoir ce qui m’est arrivé, à moi, la veille de mes noces.

– Non, sire, je ne le sais pas.

– Ah! mon Dieu! mais vous ne savez donc rien?

– Si Votre Majesté voulait m’apprendre ce point qui m’est resté inconnu?

– Écoutez, et que ceci vous serve de leçon pour mes deux autres petits-fils, duc.

– J’écoute, sire.

– Moi aussi, j’avais été élevé comme vous avez élevé le dauphin, sous le toit de mon grand-père. J’avais M. de Villeroy, un brave homme, mais un très brave homme, tout comme vous, duc. Oh! s’il m’eût laissé plus souvent dans la société de mon oncle le régent! mais non, l’innocence de l’étude, comme vous dites, duc, m’avait fait négliger l’étude de l’innocence. Cependant, je me mariai, et, quand un roi se marie, monsieur le duc, c’est sérieux pour le monde.

– Oh! oui, sire, je commence à comprendre.

– En vérité, c’est bien heureux. Je continue donc. M. le cardinal me fit sonder sur mes dispositions au patriarcat. Mes dispositions étaient parfaitement nulles, et j’étais là-dessus d’une candeur à faire craindre que le royaume de France ne tombât en quenouille. Heureusement, M. le cardinal consulta M. de Richelieu là-dessus: c’était délicat; mais M. de Richelieu était un grand maître en pareille matière. M. de Richelieu eut une idée lumineuse. Il y avait une demoiselle Lemaure ou Lemoure, je ne sais plus trop, laquelle faisait des tableaux admirables; on lui commanda une série de scènes; vous comprenez?

– Non, sire.

– Comment dirai-je cela? Des scènes champêtres.

– Dans le genre des tableaux de Teniers, alors.

– Mieux que cela, primitives.

– Primitives?

– Naturelles… Je crois que j’ai enfin trouvé le mot; vous comprenez, cette fois?

– Comment! s’écria M. de la Vauguyon rougissant, on osa présenter à Votre Majesté?…

– Et qui vous parie de me présenter quelque chose, duc?

– Mais pour que Votre Majesté pût voir…

– Il fallait que Ma Majesté regardât; voilà tout.

– Eh bien?

– Eh bien, j’ai regardé.

– Et…?

– Et comme l’homme est essentiellement imitateur… j’ai imité.

– Certainement, sire, le moyen est ingénieux, certain, excellent, quoique dangereux pour un jeune homme.

Le roi regarda le duc de la Vauguyon avec ce sourire que l’on eut appelé cynique s’il n’eût glissé sur la bouche la plus spirituelle du monde.

– Laissons le danger pour aujourd’hui, dit-il, et revenons à ce qui nous reste à faire.

– Ah!

– Le savez-vous?

– Non, sire, et Votre Majesté me rendra bien heureux en me l’apprenant.

– Eh bien, le voici: vous allez aller trouver M. le dauphin, qui reçoit les derniers compliments des hommes tandis que madame la dauphine reçoit les derniers compliments des femmes.

– Oui, sire.

– Vous vous munirez d’un bougeoir, et vous prendrez M. le dauphin à part.

– Oui, sire.

– Vous indiquerez à votre élève – le roi appuya sur les deux mots – vous indiquerez à votre élève que sa chambre est située au bout du corridor neuf.

– Dont personne n’a la clef, sire.

– Parce que je la gardais, monsieur; je prévoyais ce qui arrive aujourd’hui; voici cette clef.

M. de la Vauguyon la prit en tremblant.

– Je veux bien vous dire, à vous, monsieur le duc, continua le roi, que cette galerie renferme une vingtaine de tableaux que j’ai fait placer là.

– Ah! sire, oui, oui.

– Oui, monsieur le duc; vous embrasserez votre élève, vous lui ouvrirez la porte du corridor, vous lui mettrez le bougeoir à la main, vous lui souhaiterez le bonsoir, et vous lui direz qu’il doit mettre vingt minutes à gagner la porte de sa chambre, une minute par tableau.

– Ah! sire, je comprends.

– C’est heureux. Bonsoir, monsieur de la Vauguyon.

– Votre Majesté a la bonté de m’excuser?

– Mais je ne sais pas trop, car, sans moi, vous eussiez fait de belles choses dans ma famille!

La porte se referma sur M. le gouverneur.

Le roi se servit de sa sonnette particulière.

Lebel parut.

– Mon café, dit le roi. À propos, Lebel…

– Sire?

– Quand vous m’aurez donné mon café, vous irez derrière M. de la Vauguyon, qui sort pour présenter ses devoirs à M. le dauphin.

– J’y vais, sire.

– Mais attendez donc, que je vous apprenne pourquoi vous y allez.

– C’est vrai, sire; mais mon empressement à obéir à Sa Majesté est tel…

– Très bien. Vous suivrez donc M. de la Vauguyon.

– Oui, sire.

– Il est si troublé, si chagrin, que je crains son attendrissement pour M. le dauphin.

– Et que dois-je faire, sire, s’il s’attendrit?

– Rien; vous viendrez me le dire, voilà tout.

Lebel déposa le café auprès du roi, qui se mit à le savourer lentement.

Puis le valet de chambre historique sortit.

Un quart d’heure après, il reparut.

– Eh bien, Lebel? demanda le roi.

– Sire, M. de la Vauguyon a été jusqu’au corridor neuf, tenant monseigneur par le bras.

– Bien! après?

– Il ne semblait pas fort attendri, bien au contraire, il roulait de petits yeux tout égrillards.

– Bon! après?

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