Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– Oui, là, sans façon, tenez.

Et Louis XV indiqua au duc un tabouret placé de telle manière que les lumières tombassent d’aplomb sur le visage du précepteur et laissassent dans l’ombre celui du roi.

– Eh bien, cher duc, dit Louis XV, voilà une éducation faite.

– Oui, sire.

Et la Vauguyon soupira.

– Belle éducation, sur ma foi, continua Louis XV.

– Sa Majesté est trop bonne.

– Et qui vous fait bien de l’honneur, duc.

– Sa Majesté me comble.

– M. le dauphin est, je crois, un des savants princes de l’Europe?

– Je le crois, sire.

– Bon historien?

– Très bon.

– Géographe parfait?

– Sire, M. le dauphin dresse tout seul des cartes qu’un ingénieur ne ferait pas.

– Il tourne dans la perfection?

– Ah! sire, le compliment revient à un autre, et ce n’est pas moi qui lui ai appris cela.

– N’importe, il le sait.

– À merveille même.

– Et l’horlogerie, hein?… quelle dextérité!

– C’est prodigieux, sire.

– Depuis six mois, toutes mes horloges courent les unes après les autres, comme les quatre roues d’un carrosse, sans pouvoir se rejoindre. Eh bien, c’est lui seul qui les règle.

– Ceci rentre dans la mécanique, sire, et je dois avouer encore que je n’y suis pour rien.

– Oui, mais les mathématiques, la navigation?

– Oh! par exemple, sire, voilà les sciences vers lesquelles j’ai toujours poussé M. le dauphin.

– Et il y est très fort. L’autre soir, je l’ai entendu parler avec M. de la Peyrouse de grelins, de haubans et de brigantines.

– Tous termes de marine… Oui, sire.

– Il en parle comme Jean Bart.

– Le fait est qu’il y est très fort.

– C’est pourtant à vous qu’il doit tout cela…

– Votre Majesté me récompense bien au delà de mes mérites en m’attribuant une part, si légère qu’elle soit, dans les avantages précieux que M. le dauphin a tirés de l’étude.

– La vérité, duc, est que je crois que M. le dauphin sera réellement un bon roi, un bon administrateur, un bon père de famille… À propos, monsieur le duc, répéta le roi en appuyant sur ces mots, sera-t-il un bon père de famille?

– Eh! mais, sire, répondit naïvement M. de la Vauguyon, je présume que, toutes les vertus étant en germe dans le cœur de M. le dauphin, celle-là y doit être renfermée comme les autres.

– Vous ne me comprenez pas, duc, dit Louis XV. Je vous demande s’il sera un bon père de famille.

– Sire, je l’avoue, je ne comprends pas Votre Majesté. Dans quel sens me fait-elle cette question?

– Mais dans le sens, dans le sens… Vous n’êtes pas sans avoir lu la Bible, monsieur le duc?

– Certainement, sire, que je l’ai lue.

– Eh bien, vous connaissez les patriarches, n’est-ce pas?

– Sans doute.

– Sera-t-il un bon patriarche?

M. de la Vauguyon regarda le roi, comme s’il lui eût parlé hébreu; et, tournant son chapeau entre ses mains:

– Sire, répondit-il, un grand roi est tout ce qu’il veut.

– Pardon, monsieur le duc, insista le roi, je vois que nous ne nous entendons pas très bien.

– Sire, je fais cependant de mon mieux.

– Enfin, dit le roi, je vais parler plus clairement. Voyons, vous connaissez le dauphin comme votre enfant, n’est-ce pas?

– Oh! certes, sire.

– Ses goûts?

– Oui.

– Ses passions?

– Oh! quant à ses passions, sire, c’est autre chose; monseigneur en eût-il eu, que je les eusse extirpées radicalement. Mais je n’ai pas eu cette peine, heureusement; monseigneur est sans passions.

– Vous avez dit heureusement?

– Sire, n’est-ce pas un bonheur?

– Ainsi, il n’en a pas?

– Des passions? Non, sire.

– Pas une?

– Pas une, j’en réponds.

– Eh bien, voilà justement ce que je redoutais. Le dauphin sera un très bon roi, un très bon administrateur, mais il ne sera jamais un bon patriarche.

– Hélas! sire, vous ne m’avez aucunement recommandé de pousser M. le dauphin au patriarcat.

– Et c’est un tort que j’ai eu. J’aurais dû songer qu’il se marierait un jour. Mais, bien qu’il n’ait point de passions, vous ne le condamnez point tout à fait?

– Comment?

– Je veux dire que vous ne le jugez point incapable d’en avoir un jour.

– Sire, j’ai peur.

– Comment, vous avez peur?

– En vérité, dit lamentablement le pauvre duc, Votre Majesté me met au supplice.

– Monsieur de la Vauguyon, s’écria le roi, qui commençait à s’impatienter, je vous demande clairement si, avec passion ou sans passion, M. le duc de Berry sera un bon époux. Je laisse de côté la qualification de père de famille et j’abandonne le patriarche.

– Eh bien, sire, voilà ce que je ne saurais précisément dire à Votre Majesté.

– Comment, voilà ce que vous ne sauriez me dire?

– Non, sans doute, car je ne le sais pas, moi.

– Vous ne le savez pas! s’écria Louis XV avec une stupéfaction qui fit osciller la perruque sur le chef de M. de la Vauguyon.

– Sire, M. le duc de Berry vivait sous le toit de Votre Majesté dans l’innocence de l’enfant qui étudie.

– Eh! monsieur, cet enfant n’étudie plus, il se marie.

– Sire, j’étais le précepteur de monseigneur…

– Justement, monsieur, il fallait donc lui apprendre tout ce qu’il doit savoir.

Et Louis XV se renversa dans son fauteuil en haussant les épaules.

– Je m’en doutais, ajouta-t-il avec un soupir.

– Mon Dieu, sire…

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