Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome IV полностью

Il prit un fauteuil en face des leurs, sans remarquer ou sans paraître remarquer l’étrange ordonnance de cette assistance. En effet, les cinq fauteuils formaient un hémicycle pareil à ceux des tribunaux antiques, avec un président dominant deux assesseurs, et son fauteuil à lui, Balsamo, établi en face de celui du président, occupant la place qu’on donne à l’accusé dans les conciles ou les prétoires.

Balsamo ne prit pas le premier la parole, comme il l’eût fait en toute autre circonstance; il regardait sans bien voir, toujours par suite de cette douloureuse somnolence qui lui était restée après le choc.

– Tu nous as compris, à ce qu’il paraît, frère, dit le président, ou plutôt celui qui occupait le fauteuil du milieu. Tu as cependant bien tardé à venir, et nous délibérions déjà pour savoir si l’on enverrait à ta recherche.

– Je ne vous comprends pas, répondit simplement Balsamo.

– Ce n’est pas ce que j’avais cru en te voyant prendre vis-à-vis de nous la place et l’attitude de l’accusé.

– De l’accusé? balbutia vaguement Balsamo.

Et il haussa les épaules.

– Je ne comprends pas, dit-il.

– Nous allons te faire comprendre, et cela ne sera pas difficile, si j’en crois ton front pâle, tes yeux éteints, ta voix qui tremble… On dirait que tu n’entends pas.

– Si fait, j’entends, répondit Balsamo en secouant la tête comme pour en faire tomber des pensées qui l’obsédaient.

– Te souvient-il, frère, continua le président, que, dans ses dernières communications, le comité supérieur t’ait donné avis d’une trahison méditée par un des grands appuis de l’ordre?

– Peut-être… oui… je ne dis pas non.

– Tu réponds comme il convient à une conscience tumultueuse et troublée; mais remets-toi… ne te laisse point abattre; réponds avec la clarté, la précision que te commande une position terrible; réponds-moi d’après cette certitude que tu peux nous convaincre, car nous n’apportons ici ni préventions ni haine; nous sommes la loi: elle ne parle qu’après que le juge a écouté.

Balsamo ne répliqua rien.

– Je te le répète, Balsamo, et mon avertissement une fois donné sera comme l’avis que se donnent des combattants avant de s’attaquer l’un l’autre; je vais t’attaquer avec des armes loyales mais puissantes; défends toi.

Les assistants, voyant le flegme et l’immobilité de Balsamo, se regardèrent non sans étonnement, puis reportèrent leurs yeux sur le président.

– Tu m’as entendu, n’est-ce pas, Balsamo? répéta ce dernier.

Balsamo fit de la tête un signe affirmatif.

– J’ai donc, en frère plein de loyauté, de bienveillance, averti ton esprit et fait pressentir le but de mon interrogatoire. Tu es averti; garde-toi, je recommence.

«Après cet avertissement, continua le président, l’association délégua cinq de ses membres pour surveiller à Paris les démarches de celui qu’on nous signalait comme un traître.

«Or, nos révélations à nous ne sont pas sujettes à l’erreur; nous les tenons ordinairement, tu le sais toi-même, soit d’agents dévoués parmi les hommes, soit d’indices certains parmi les choses, soit de symptômes et de signes infaillibles parmi les mystérieuses combinaisons que la nature n’a encore révélées qu’à nous. Or, l’un de nous avait eu sa vision par rapport à toi; nous savons qu’il ne s’est jamais trompé; nous nous sommes tenus sur nos gardes, et nous t’avons surveillé.»

Balsamo écouta le tout sans donner la moindre marque d’impatience ou même d’intelligence. Le président continua:

– Ce n’était pas chose aisée que de surveiller un homme tel que toi; tu entres partout, ta mission est de prendre pied partout où nos ennemis ont une maison, un pouvoir quelconque. Tu as à ta disposition toutes tes ressources naturelles, qui sont immenses, celles que l’association te donne pour faire triompher sa cause. Longtemps nous avons flotté dans le doute en voyant venir chez toi des ennemis tels qu’un Richelieu, une du Barry, un Rohan. Il y avait eu, d’ailleurs, dans la dernière assemblée de la rue Plâtrière, un discours prononcé par toi, discours plein d’habiles paradoxes qui nous ont laissé croire que tu jouais un rôle en flattant, en fréquentant cette race incorrigible qu’il s’agit d’extirper de la terre. Nous avons respecté pendant un temps les mystères de ta conduite, espérant un heureux résultat; mais enfin la désillusion est arrivée.

Balsamo conserva son immobilité, son impassibilité, de sorte que le président se laissa gagner par l’impatience.

– Il y a trois jours, dit-il, cinq lettres de cachet furent expédiées. Elles avaient été demandées au roi par M. de Sartine; remplies aussitôt qu’elles furent signées, elles furent présentées, le même jour, à cinq de nos principaux agents, frères très fidèles, très dévoués, qui habitent à Paris. Tous cinq furent arrêtés et conduits, deux à la Bastille, où ils sont écroués au plus profond secret; deux à Vincennes, dans l’oubliette; un à Bicêtre, dans le plus mortel des cabanons. Connaissais-tu cette particularité?

– Non, dit Balsamo.

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