«Nous ne permettrons pas cela» dit l’un des prisonniers, «notre camarade 'etait ath'ee, comme nous tous. Il faut respecter ses opinions. Nous ne permettrons pas qu’il soit enterr'e suivant le rite catholique».
«Je repr'esente l’Espagne, ici, ce mort est espagnol, un citoyen espagnol, je l’enterrerai suivant le rite catholique. Vous me comprenez».
«Non, nous ne vous comprenons pas».
«Je suis le Ministre d’Espagne, je ferai mon devoir. Si vous ne comprenez pas, cela m’est indif'erent».
Et de Fox`a s’en alla.
«Mon cher Augustin» lui dis-je, «le G'en'eral Edqvist est un gentilhomme. Il n’aimera pas que tu forces les opinions d’un mort. Les Finlandais sont des hommes libres, ils ne comprendront pas ton geste. Il faut chercher un compromis».
«Oui, mais je suis le Ministre de Franco, je ne peux pas, tout de m^eme enterrer un espagnol sans le rite catholique. Ah, pourquoi ne l’avez-vous pas enterr'e sans moi? Tu vois, tu vois ce que tu as fait, avec ta manie de te m^eler des choses qui ne te regardent pas?»
«Bon, bon, ne t’inqui`ete pas, on fera les choses pour le mieux».
Nous nous rend^imes chez le G'en'eral.
«'Evidemment» dit le G'en'eral Edqvist, «si le mort 'etait ath'ee, comme il 'etait communiste, on ne peut pas l’enterrer suivant le rite catholique. Je comprends, vous ^etes le Ministre d’Espagne, et vous ne pouvez pas…»
Je proposai de faire venir le pr^etre catholique italien de Helsinki, le seul pr^etre catholique qui f^ut `a Helsinki. (A Helsinki il y avait aussi l’'Ev^eque catholique, un hollandais, mais on ne pouvait pas faire venir l’'Ev^eque). On t'el'egraphia donc au pr^etre catholique. Deux jours apr`es le pr^etre arriva. Il comprit la situation, et il arragea les choses pour le mieux. C’'etait un pr^etre de la haute Lombardie, un montagnard, tr`es simple, tr`es fin, tr`es pur.
Le jour apr`es eut lieu l’enterrement. La bi`ere 'etait port'ee par quatre de ses camarades. Un drapeau de l’Espagne de Franco 'etait d'epos'e au fond de la fosse, creus'ee `a la dynamite dans la terre glac'ee. Une section de soldats finlandais 'etait rang'ee sur un c^ote de la fosse, dans le petite cimiti'ere de guerre finlandais dans une clairi`ere dans le bois. La neige luisait doucement dans la faible lueur du jour. La bi`ere 'etait suivie par le Ministre de Fox`a, par le G'en'eral Edqvist, par moi, et par les prisonniers rouges, et par quel-ques soldats finlandais. Le pr^etre se tenait `a cinquante pas de la fosse, v^etu de son 'etole, son livre de pri`eres dans la main. Ses l`evres remuaient en silence, il disait les pri`eres des morts: mais `a l’'ecart, pour ne pas violer les opinions du mort. Quand la bi`ere fut descendue dans la fosse, les soldats finlandais, tous protestants, d'echarg`erent leurs fusils en l’air. Le G'en'eral Edqvist, moi, les officiers et soldats finlandais salu`erent portant la main au calot. Le Ministre de Fox`a salua tendant le bras, `a la fasciste. Et les camarades du mort lev`erent le bras, le poing ferm'e. Le jour apr`es de Fox`a repartit. Avant de s’asseoir dans le tra^ineau, il me prit `a l’'ecart, et me dit:
«Je te remercie de tout ce que tu as fait. Tu as 'et'e tr`es gentil. Excuse-moi si je t’ai un peu engueul'e, mais tu comprends… Tu te m^eles toujours de choses qui ne te regardent pas!»
Quelques jours pass`erent. Les prisonniers rouges attendaient toujours la r'eponse de Madrid qui ne venait pas. Le G'en'eral Edqvist 'etait un peu nerveux. «Vous comprenez» me disait-il, «je ne peux pas garder 'eternellement ces prisonniers ici. Il faut d'ecider quelque chose. Ou bien c’est l’Espagne qui les r'eclame, ou bien il faudra que je les envoie dans un camp. Leur situation est d'elicate. Il vaut mieux les garder ici. Mais je ne peux pas les garder 'eternellement». «Ayez encore un peu de patience, la r'eponse arrivera sans doute».
La r'eponse arriva: «On ne reconna^itra comme citoyens espagnols, que ceux des prisonniers qui d'eclareront ^etre espagnols, accepter le r'egime de Franco, et manifester le d'esir de rentrer en Espagne».
«Allez leur expliquer la situation» me dit le G'en'eral Edqvist.
J’allai voir les prisonniers, je leur expliquai la situation.
«Nous ne reconnaissons pas le r'egime de Franco, nous ne voulons pas rentrer en Espagne» r'epondirent les prisonniers.
«Je respecte votre fid'elit'e `a vos opinions» dis-je, «mais je vous fais remarquer que votre position est tr`es d'elicate. Si vous reconnaissez de combattre contre les Finlandais en tant qu’espagnols rouges, vous serez fusill'es. Les lois de la guerre sont les lois de la guerre. Faites le possible pour que je puisse vous aider. Je vous en supplie, r'ef'echissez. Au fond, vous ^etes espagnols. Tous les espagnols rouges qui se trouvent en Espagne ont bien accept'e le r'egime de Franco. Les rouges ont perdu la partie, leur loyaut'e ne leur emp^eche pas de reconna^itre que Franco est vainqueur. Faites comme les rouges qui vivent en Espagne. Acceptez votre d'efaite».
«Il n’y a plus de rouges, en Esapgne. Ils ont 'et'e tous fusill'es».