J’ai vû hier M. Grimm, nous avons beaucoup parlé de vous, et de la Russie, nous désirons fort, que vous puissiés être admis aux fetes particuliéres que l’Impératriçe donne a son Hermitage, ce sera un moyen de vous dédommager de la tristesse que le Ceremoniel de l’hiver impose, et d’avoir encore le bonheur de vour l’Impératriçe d’une manière plus particulière: que j’ai de regret de ne pouvoir pas aller vous trouver, je serois vraiment heureuse, de connoitre l’Impératrice, tout ce que vous m’en avez dit, tout ce que j’en entends dire, en peu de ligne à M. Grimm, me donne un regret particulier à Elle de ne point aller en Russie. Mon frère se dispose avec un grand empressement à aller vous voir, je vous laisse à juger, si je ne l’envie pas, ne pouvant pas cependant faire ce voyage, que je désire tant, je suis heureuse que ce soit mon frère qui le fasse, et je régarde que ce sera d’un avantage infini pour lui, d’aller vous voir, surement vous conceveres, et approuverés son projet; ne vaut il pas de la peine, qu’il prenne en voyageant mille connoissances non seulement précieuses, mais essentielles à son état, qu’en étudiant toutes les legislations, la politique, le Commerce des differens peuples, il gagne cette connoissance, que Montesquieu, a si bien prouvé être nécéssaire. Ne sera-t-il pas après les années d’instruction, bien plus propre à exercer les fonctions de Magistrat, de Législateur, et en un mot d’homme d’Etat, et d’homme utile à son pays, loin de perdre à ces voyages, il doit gagner beaucoup, et ne peut régretter la fonction peu importante qu’il feroit içi, et qui etoit commune avec un grand nombre de personnes; je crois mon cher amour, qu’en envisageant son voyage sous ce point de vue-là, vous l’approuverés: mandés moi, ce que vous en pensés pour moi, malgré la peine que j’aurai de me séparer de lui pour longtems, je sens que j’aurai un plaisir extrème à penser qu’il sera avec vous, quelque tems qu’il vous parlera de moi, de vos enfans, de votre pere, de vos plus chèrs intérêts içi, je pense anssi avec plaisir que la confiance, que mon frère aura en vous, lui sera aussi utile, qu’agréable, que vous lui procurés soit en russie, soit ailleurs, tous les moyens qui seront en votre puissance, pour lui faciliter l’instruction, et les connoissances, qu’il désire acquerir. Enfin vous aimés déjà mon frère, et vous l’aimerés j’éspère encore plus, lorsque vous le verrés loin du tourbillon de Paris; nous n’avons point de nouvelles, que je puisse vous mander, parceque ce sont des details de propos sans raisons, sans suites sur cette singulière affaire du Cardinal; il n’y a rien de nouveau depuis le décrét de prise de Corps. Le Parlement est occupé à present, à réfuser l’emprunt de M. de Calonne; il fait des courses de Paris, à versailles; il dit non, le Roi dit oui, et il aura surements raison, je ne pourrios pas vous donner plus de détails sur cette affaire là, je n’en entends rien; on parlat hier d’un lit de justice, je n’en serois pas fachée, parceque je n’en ai jamais vû. Laure vous écrit une lettre un peu folle, elle est de plus en plus aimable, et elle gagne beaucoup pour la raison, et la sagesse, j’éspère qu’elle sera aussi bonne, qu’elle aura d’ésprit, et qu’elle sera aimable, enfin qu’elle vous ressemble tout à fait: je vous prie de faire mes complimens à Mrs
. fitzherbert, et d’Elis; parlés aussi de moi au Chevalier de la Colinière, et dites lui que le livre, qu’il desiroit pour l’Imperatriçe, lui parviendra bientôt.Bonjour, mon amour, mon tout, comment vivre loin de vous, en honneur je ne sais plus comment m’en tirer, le courage est toujours prèt à m’y manquer: j’ai le cœur remplit de tristesse, l’ame d’amertume, et mon ésprit de régrets soignés vous du moins, portés vous bien, songés que vous etes tout pour moi, que je n’aime que vous, vous êtes mon ame, ma vie: o toi que j’adore, conserve ta santé!
La Ctesse
de Ségur