Un peu après que minuit et demi eut sonné, le signal de la petite lampe parut à la fenêtre de la volière. Fabrice était prêt à agir; il fit un signe de croix, puis attacha à son lit la petite corde destinée à lui faire descendre les trente-cinq pieds qui le séparaient de la plate-forme où était le palais. Il arriva sans encombre sur le toit du corps de garde occupé depuis la veille par les deux cents hommes de renfort dont nous avons parlé. Par malheur les soldats, à minuit trois quarts qu’il était alors, n’étaient pas encore endormis; pendant qu’il marchait à pas de loup sur le toit de grosses tuiles creuses, Fabrice les entendait qui disaient que le diable était sur le toit, et qu’il fallait essayer de le tuer d’un coup de fusil. Quelques voix prétendaient que ce souhait était d’une grande impiété, d’autres disaient que si l’on tirait un coup de fusil sans tuer quelque chose, le gouverneur les mettrait tous en prison pour avoir alarmé la garnison inutilement. Toute cette belle discussion faisait que Fabrice se hâtait le plus possible en marchant sur le toit et qu’il faisait beaucoup plus de bruit. Le fait est qu’au moment où, pendu à sa corde, il passa devant les fenêtres, par bonheur à quatre ou cinq pieds de distance à cause de l’avance du toit, elles étaient hérissées de baïonnettes. Quelques-uns ont prétendu que Fabrice toujours fou eut l’idée de jouer le rôle du diable, et qu’il jeta à ces soldats une poignée de sequins. Ce qui est sûr, c’est qu’il avait semé des sequins sur le plancher de sa chambre, et il en sema aussi sur la plate-forme dans son trajet de la tour Farnèse au parapet, afin de se donner la chance de distraire les soldats qui auraient pu se mettre à le poursuivre.
Arrivé sur la plate-forme et entouré de sentinelles qui ordinairement criaient tous les quarts d’heure une phrase entière:Tout est bien autour de mon poste, il dirigea ses pas vers le parapet du couchant et chercha la pierre neuve.
Ce qui paraît incroyable et pourrait faire douter du fait si le résultat n’avait eu pour témoin une ville entière, c’est que les sentinelles placées le long du parapet n’aient pas vu et arrêté Fabrice; à la vérité, le brouillard dont nous avons parlé commençait à monter, et Fabrice a dit que lorsqu’il était sur la plate-forme, le brouillard lui semblait arrivé déjà jusqu’à moitié de la tour Farnèse. Mais ce brouillard n’était point épais, et il apercevait fort bien les sentinelles dont quelques-unes se promenaient. Il ajoutait que, poussé comme par une force surnaturelle, il alla se placer hardiment entre deux sentinelles assez voisines. Il défit tranquillement la grande corde qu’il avait autour du corps et qui s’embrouilla deux fois; il lui fallut beaucoup de temps pour la débrouiller et l’étendre sur le parapet. Il entendait les soldats parler de tous les côtés, bien résolu à poignarder le premier qui s’avancerait vers lui. «Je n’étais nullement troublé, ajoutait-il, il me semblait que j’accomplissais une cérémonie.»