La duchesse voyait dans les yeux du prince qu’il la croyait parfaitement d’accord avec sa mère pour lui dicter un plan de conduite. Il y eut entre les deux femmes une succession assez rapide d’aigres reparties, à la suite desquelles la duchesse protesta qu’elle ne dirait plus une seule parole, et elle fut fidèle à sa résolution; mais le prince, après une longue discussion avec sa mère, lui ordonna de nouveau de dire son avis.
– C’est ce que je jure à Vos Altesses de ne point faire!
– Mais c’est un véritable enfantillage! s’écria le prince.
– Je vous prie de parler, madame la duchesse, dit la princesse d’un air digne.
– C’est ce dont je vous supplie de me dispenser, madame; mais Votre Altesse, ajouta la duchesse en s’adressant au prince, lit parfaitement le français; pour calmer nos esprits agités, voudrait-elle nous lire une fable de La Fontaine?
La princesse trouva ce “nous” fort insolent, mais elle eut l’air à la fois étonné et amusé, quand la grande maîtresse, qui était allée du plus grand sang-froid ouvrir la bibliothèque, revint avec un volume des Fables de La Fontaine; elle le feuilleta quelques instants, puis dit au prince, en le lui présentant:
– Je supplie Votre Altesse de lire toute la fable.
LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR
Cette lecture fut suivie d’un long silence. Le prince se promenait dans le cabinet, après être allé lui-même remettre le volume à sa place.
– Eh bien! madame, dit la princesse, daignerez-vous parler?
– Non pas, certes, madame! tant que Son Altesse ne m’aura pas nommée ministre; en parlant ici, je courrais risque de perdre ma place de grande maîtresse.