— C'est une chose à ne pas dire devant eux ! Ils comprennent beaucoup trop de choses ! décréta Sara sévèrement. Allons, demoiselle, il est temps d'aller au lit ! Si vous continuez à tripoter comme cela les cheveux de votre mère, je n'en finirai jamais.
— Oh, déjà ? protesta Catherine, frustrée, tandis que Sara enlevait la petite fille et la rapportait près de son frère. Je les ai encore à peine vus...
J'espère bien que tu auras maintenant toute la vie pour les voir. Et il faut que je finisse de te pré parer. On va corner l'eau avant longtemps... Tu reviendras les embrasser tout à l'heure.
Et, pour être certaine que les enfants allaient dormir, elle entraîna Catherine et son matériel de coiffure dans la petite pièce voisine où d'ailleurs on avait dressé un lit pour elle.
— Là, fit-elle en la réinstallant sur un autre tabouret. Continuons.
D'ailleurs, nous serons plus tranquilles pour causer. Que comptes-tu faire à présent ?
Redescendue de son petit paradis enfantin et rendue à l'amère réalité, Catherine haussa les épaules.
— Honnêtement je n'en sais rien ! Tout cela a été si brutal, si soudain et surtout tellement inattendu ! Je crois qu'il faut que je réfléchisse, que j'essaie de voir clair mais je t'avoue que, pour l'instant, je m'en sens bien incapable. Je n'arrive pas à comprendre comment Arnaud a pu ramener cette fille, cette Azalais, à Montsalvy, chez nous...
— C'est ce qui te tracasse le plus on dirait ?... bien plus que le fait qu'il te refuse l'entrée de ta maison !
— Bien sûr ! Ça ne te tracasse pas, toi ? J'aimerais bien savoir ce que tu as pensé en le voyant arriver avec elle ?
— Qu'il était devenu complètement fou... ou qu'il s'était découvert
- Dieu sait où - une nouvelle raison de t'en vouloir, tout aussi boiteuse que les précédentes d'ailleurs. Je n'ai jamais voulu te le dire mais il m'est souvent venu à l'idée que ton beau chevalier n'était peut-être pas aussi intelligent que tu te l'imaginais. Il a plus d'orgueil et de préjugés que de bon sens...
— Peut-être, fit Catherine tristement, mais jusqu'à présent je croyais qu'il m'aimait autant que je l'aimais.
— Voilà pourquoi je dis qu'il n'est pas tellement intelligent. Je suis persuadée qu'il t'aime et même qu'en dehors de lui-même il n'a jamais aimé que toi... et ses enfants bien sûr. Mais il aimerait mieux se faire couper bras et jambes plutôt que l’admettre,
Jolie façon de le prouver : ramener une catin à son foyer ! J'aimerais bien savoir comment il l'a retrouvée, celle-là...
— Voilà une bonne question ! fit du seuil une voix joyeuse et fraîche. Une question à laquelle je vais pouvoir répondre je crois.
Et Marie Rallard, la jeune épouse de Josse, fit son entrée, portant sur ses bras étendus une légère robe de cendal1 rayé vert et blanc tout nouvellement repassée et qui paraissait fraîche comme une laitue.
Blonde, rose, pleine de vivacité et de gentillesse, l'ex-Marie Vermeil était plus jolie encore qu'au temps où elle était l'un des plus savoureux ornements du harem du sultan de Grenade2 mais enceinte jusqu'aux yeux et à bien peu de semaines de son terme, elle avait doublé de volume. Depuis qu'elle avait retrouvé Catherine elle avait repris tout naturellement son rôle de dame de parage chargée de la garde-robe de la châtelaine, garde-robe dont elle avait d'ailleurs trouvé le moyen de sauver les bijoux et quelques robes en fuyant Montsalvy.
— Tu n'aurais pas voulu que je laisse une putain mettre ses doigts sales sur tes affaires ? avait-elle déclaré à Catherine.
A présent, elle apportait l'une des robes en question, qu'elle s'était hâtée de repasser, et alla l'étendre sur le lit.
— Comment sais-tu cela ? demanda Catherine.
— Par Josse, bien sûr. Quand messire Arnaud est arrivé avec ces hommes de mauvaise mine, mon cher époux a reconnu l'un d'eux comme ayant fait partie de la troupe de Béraud d'Apchier quand ce démon est venu assiéger Montsalvy. Au lieu de monter sur ses grands chevaux et d'aller dire à ton époux ce qu'il mourait d'envie de lui dire, Josse a préféré se tenir à l'écart et lier conversation avec l'homme en question. Naturellement il l'a fait boire et comme ce sont de 1 Soie légère.
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véritables brutes que messire Arnaud a recrutées, il n'a eu aucune peine à le faire boire plus que de raison. Après quoi il l'a interrogé et il a compris à peu près ceci : avant de rentrer à Montsalvy, messire Arnaud entendait régler ses comptes avec Béraud d'Apchier. Il voulait lui demander raison du siège de sa ville et se donner le plaisir de lui apprendre que son bâtard, Gonnet, avait quitté ce monde de sa main.
« Mais quand il est arrivé à la tour de Saint-Chély chez Béraud, le Loup du Gévaudan gisait dans son lit, blessé et à moitié mort. Un combat avec lui était donc impossible.