Le dîner fut lugubre. En dépit des efforts de Symonne pour la rassurer, alimenter la conversation et engager son invitée à faire honneur à sa cuisine, Catherine prit seulement un peu de bouillon. A mesure que le temps coulait, sa gorge se contractait un peu plus refusant tout passage à un aliment solide. Et ce fut avec un soupir de soulagement qu'elle quitta la table confortablement installée devant le feu qui flambait et où il eût fait bon s'attarder si l'inquiétude n'avait habité son esprit.
— Voulez-vous que j'envoie chez messire de Roussay ? proposa Symonne. Je vous vois tellement tourmentée, ma pauvre amie, que j'ai peur de cette nuit que vous allez passer si ces deux garçons ne reparaissent bien vite.
— Cela ne servirait à rien. Nous ignorons où chercher. Et puis que peut-on faire en pleine nuit ? Enfin, j'espère encore les voir revenir d'un instant à l'autre.
— En tout cas, s'ils ne sont pas ici à l'aube, j'enverrai chez messire Pierre Girarde, le prévôt de la ville, pour qu'il ordonne des recherches.
Après tout ce sera davantage de son ressort que de celui de la garde du palais.
Les deux amies s'embrassèrent puis chacune rentra chez elle.
L'oncle Mathieu, dûment réconforté par le petit repas fin que lui avait servi sa chère Bertille, dormait déjà comme un bienheureux.
Chez elle, Catherine alla ouvrir les volets de bois, peints de feuilles et de fleurs, qui protégeaient sa fenêtre et se pencha au-dehors. Les ténèbres de cette nuit l'attiraient comme un aimant. La rue ressemblait à un puits. Il avait plu au moment de la tombée de la nuit et, des grands toits pointus qui se découpaient sur le ciel à peine moins noir, des gouttes d'eau crépitaient encore dans les flaques avec un bruit lancinant.
Il faisait froid. Pourtant la jeune femme avait l'impression d'étouffer... Sans refermer sa fenêtre, elle se retira dans l'intérieur de la chambre pour délacer sa robe, ouvrir sa gorgerette, sans néanmoins se résoudre à se dévêtir. Elle savait qu'il lui serait impossible de dormir tant qu'elle ne serait pas fixée sur le sort de ses jeunes serviteurs, surtout sur celui de Bérenger qui n'était encore qu'un enfant, après tout, et auquel l'attachait une affection quasi maternelle.
Et l'angoisse à présent s'emparait d'elle. Sachant combien elle se tourmentait toujours pour son page, Gauthier n'aurait jamais permis qu'elle vécût ces heures inquiètes si quelque chose n'était arrivé...
quelque chose de grave ! Mais quoi ?...
Se souvenant brusquement que les marguilliers de Saint-Jean avaient déjà sonné le crève-feu et que sa fenêtre éclairée, largement ouverte sur la nuit, faisait risquer une amende à son hôtesse, elle se pencha pour souffler sa chandelle quand quelque chose siffla dans l'air et vint retomber avec un bruit sourd sur le plancher de sa chambre.
Elle se baissa vivement et ramassa une pierre, de taille moyenne, autour de laquelle un papier était attaché mais, tandis qu'elle déroulait l'étroite bande blanche, ses mains se glacèrent et son cœur se mit à cogner lourdement dans sa poitrine comme si elle pressentait qu'il y avait là un malheur.
Le texte, tracé d'une grosse écriture maladroite mais parfaitement lisible, était bref. Quelques lignes seulement. Si terribles cependant qu'elle dut s'asseoir pour en assimiler le sens.
Un sanglot se noua dans la gorge de Catherine. Accablée, et comme si l'on venait de la frapper au ventre, elle se plia en deux sur son siège jusqu'à ce que sa poitrine touchât ses genoux, luttant contre une nausée subite. Au cœur de cette maison amie, elle se sentait tout à coup affreusement seule et désarmée, affrontée qu'elle se trouvait une fois encore à l'impitoyable monde des hommes avec pour seules défenses ses faibles mains de femme, son cœur de femme. Qu'allait-on encore exiger d'elle contre la vie et la liberté de ses jeunes compagnons ? Et qui était cet « on » au visage de ténèbres que l'anonymat faisait terrifiant ?...