— Dans votre attitude. Naguère vous me permettiez de vous garder, de vous protéger, souvent même de décider pour vous. Vous me laissiez mon rôle d'écuyer et vous vouliez bien même parfois lui donner les couleurs de l'amitié. A présent, j'ai l'impression d'être seulement pour vous un bagage... ; peut- être même un peu encombrant.
— Vous êtes fou !...
Elle se leva, s'approcha de Bérenger et, se penchant sur lui, entoura son cou de ses bras et posa sa joue contre les courts cheveux bruns qui poussaient un peu dans tous les sens.
— Pardonnez-moi, mon enfant... dit-elle doucement, et ne croyez rien de ce que vient de dire Gauthier. Certes non, je ne regrette pas de vous avoir sauvés ! C'est même la seule chose qui m'empêche de devenir folle : votre vie préservée. Et je crois bien que je vous aime plus encore qu'auparavant. Seulement...
— Seulement vous n'êtes plus vous-même !...
Gauthier s'était dressé et, tandis que Bérenger
vaincu par l'émotion sanglotait à la fois de joie et d'énervement dans le cercle des bras de Catherine,
appuyé des deux poings à la table, il donna libre cours à sa colère.
— Et il est temps que vous redeveniez vous- même ! Où êtes-vous, dame Catherine des bons et des mauvais jours ? Où est votre sourire, où est votre courage ? Où est la dame de Montsalvy qui savait tenir tête à une armée ou à une foule furieuse ?
Elle détourna la tête, gênée par ce regard gris habituellement si calme.
— Si je le savais...
— Moi je le sais ! Elle est entre la vie et la mort. La vie où elle est encore... à son grand regret, la mort où elle voudrait tant être ! Je me trompe ? Allons, dame Catherine, dites-moi la vérité ? Si vous avez encore pour moi un peu de l'ancienne amitié, dites- moi ce qui vous mène et vers où, et vers quoi ? Dites- moi par exemple pourquoi vous tenez tant à retrouver cette aventurière au lieu de ne songer qu'à retourner vers vos enfants.
— Gauthier, Gauthier ! soupira-t-elle avec lassitude. Vous le savez très bien. Vous savez que j'espère retrouver, dans ses entours, mon seigneur époux !
— Parce que après ce qui vient de vous arriver c'est lui que vous avez le plus envie de revoir ? Puis-je vous dire ce que je pense, ce que je crois ?...
— Dites !
— Que vous avez envie de le revoir, certes, mais simplement de le revoir... et pour la dernière fois, parce que toute votre vie vous l'avez aimé plus que tout au monde. Et qu'ensuite vous disparaîtrez sans que personne, pas même nous, puisse dire ce que vous êtes devenue. Un beau matin, vous ne serez plus là, tout simplement... Ce n'est pas cela
? — Peut-être...
Il y eut un silence peuplé seulement par le crépitement du feu. Puis Gauthier se détournant chercha des yeux, aux murs de torchis, quelque chose qu'il ne trouva pas. Alors, tirant la dague qu'il portait à sa ceinture, il la planta bien droit dans le bois de la table.
Puis, étendant d'un geste solennel sa main au-dessus de cette croix improvisée :
— Moi, Gauthier-Gontran de Chazay, fils de Pierre-Gontran de Chazay et de Marie-Adélaïde de Saint-Privey, écuyer de très haute et très noble dame Catherine de Montsalvy, je jure par cette croix qu'au jour où ladite dame aura quitté ce monde par sa propre volonté... ou par toute sorte d'autre moyen par elle recherché, je trancherai moi-même le fil de mes jours terrestres afin de pouvoir continuer honorablement, dans l'autre monde, mon service auprès d'elle ! Que le Seigneur Dieu et la Très Sainte Vierge Marie soient témoins de ceci !
D'une brusque secousse qui faillit la jeter à terre, Bérenger se dégageait de l'étreinte de Catherine et, à son tour, étendit sa petite main brune au-dessus de la dague.
— Moi aussi, je jure ! Moi aussi !...
Les jambes coupées, Catherine, bouleversée, se laissa retomber sur un tabouret. Elle enfouit son visage entre ses mains et se mit à pleurer.
— Pourquoi avez-vous fait cela, gémit-elle entre ses sanglots.
Votre vie est devant vous, la mienne derrière moi ! Et que puis-je faire d'autre après ce qui m'est arrivé ?
D'un même mouvement ils vinrent s'agenouiller près d'elle, chacun d'un côté.
— Que vous nous laissiez faire ! Que vous nous rendiez votre confiance ! C'est à nous de réparer, autant qu'il sera possible, le mal que nous vous avons fait sans le vouloir. Vous venez de le dire, vous n'êtes plus vous-même, vous souffrez...
— Je me fais horreur !
Il n'y a aucune raison. Vous êtes une victime. Croyez-vous que nous, nous ne souffrions pas, nous à cause de qui vous avez enduré ce martyre, cette abomination ? Alors laissez-nous vous délivrer en vous délivrant nous-mêmes. Le jour où vous serez redevenue notre belle dame, le jour où dans votre maison retrouvée vous aurez reconquis votre bonheur, oubliant les mauvais jours, alors seulement nous saurons que nous pouvons avoir l'âme en paix... Jus- que-là nous ne serons que des gardiens fautifs, des serviteurs qui ont failli à leur mission...