— Pas de soucis. Après tout, vous êtes en vacances.
— Vous avez vu David ?
— À peine. Il a juste mis le nez hors du labo pour venir chercher un bol de café, il y a une demi-heure. Il n’est pas allé se coucher ?
— Si ! Bien sûr que si ! Enfin... Je suppose ! J’ai dormi d’une traite. Assez surprenant, d’ailleurs, moi qui suis une lève-tôt.
— La magie de l’endroit, probablement. Coupés du monde, loin du fracas des moteurs...
Cathy fut distraite par un craquement de bois, dans la cheminée.
— Désolée, au fait, pour les bûches. J’aurais aimé vous aider.
Adeline haussa les épaules, apportant une pleine corbeille de viennoiseries encore chaudes.
— Ne vous inquiétez pas, vous aurez l’occasion de vous rattraper. Le bois, ce n’est pas ce qui manque ici.
Elle s’installa à table, le dos bien droit, sa tasse aux lèvres.
— Je n’ai pas vu de traces de lynx, dans la neige. C’est rassurant, on pourra peut-être se promener dans le coin ? Arthur m’a dit qu’il y avait un torrent, vers le sud, du côté des montagnes, et que les tourbières au nord sont très impressionnantes.
Cathy acquiesça.
— Avant la naissance de Clara, je marchais énormément avec David. Question endurance, je m’en sors pas mal. Mais moi et le sens de l’orientation, ça fait deux. Il m’est déjà arrivé de me perdre dans les jardins de Versailles !
Adeline lui adressa un sourire amical.
— Pas bien grave, j’ai appris à me débrouiller. Nous nous compléterons, car l’endurance, pour moi... Si ça vous intéresse, je compte me rendre au village le plus proche, à une heure de voiture, que vous avez dû traverser à l’aller. Enfin, quand le sol sera moins verglacé. Parce que je ne sais pas pour vous, mais ici, impossible de téléphoner !
— On dirait. Il n’y a plus qu’un seul 4x4 devant...
— Et si on va au village, Arthur vous laissera partir ? Je veux dire, vu qu’il est handicapé, il doit avoir...
— Besoin d’une assistance permanente ? Au contraire. Il tient à rester le plus indépendant possible. Il ne supporte pas que je touche à son fauteuil roulant, par exemple. Il ne m’appelle que... pour les choses délicates. Il a l’air un peu froid, comme ça, mais en fait c’est quelqu’un de charmant.
Une clochette tinta au fond du couloir. Adeline défit son chignon et ébouriffa ses cheveux.
— Arthur déteste les coiffures trop ordonnées, confia-t-elle en se levant. C’est son côté maniaque... Au fait, j’ai ensaché les restes d’hier, à côté de la poubelle... Pour le porcelet, le petit grincheux... Arthur m’a laissé comprendre que vous vous en occuperiez... Parce que moi, les cochons, c’est pas trop mon truc...
— Pas de problème ! Je me charge de Grinch. Clara l’adore déjà ! Elle n’a pas arrêté d’en parler, quand je l’ai couchée, hier soir. Ils ont un coquard au même œil, j’ai trouvé cette coïncidence assez extraordinaire...
Cathy prit un croissant dans la corbeille.
— Adeline !
— Oui ?
— Excusez-moi pour hier. Je n’étais pas vraiment au meilleur de ma forme. Et cette histoire de nécropole suspendue m’a un peu retournée...
— Nous étions tous déstabilisés... En tout cas, je suis ravie que nous puissions enfin discuter en adultes...
Elle s’éloigna. Cathy avala son croissant, puis un deuxième dans la foulée. Drôlement bon, le chocolat à l’ancienne ! Elle plongea son doigt au fond de la casserole presque vide. Puis, le bol à la main, elle se rendit dans l’arrière-cuisine. Deux réfrigérateurs, deux congélateurs, des conserves, de l’alcool, des packs de lait, des biscuits, des sucreries. De quoi soutenir un siège ! Ça n’allait pas arranger le régime qu’elle avait décidé de commencer...
Après avoir fait un rapide détour par l’enclos pour donner les déchets à Grin’ch, elle se faufila dans le laboratoire. Les vapeurs d’antiseptiques étaient moins fortes que la veille. David se tenait avachi face à la machine à écrire, la tête entre les mains. À ses côtés, des boules de papier chiffonné, une plaque de chocolat entamée et un bol vide. En fait, une vraie caricature de lui-même. Café, chocolat, écriture...
— Oh la sale tête ! s’écria-t-elle en l’enlaçant tendrement. Mauvaise nuit ? Encore les mêmes cauchemars ?
David referma rapidement le dossier Bourreau et embrassa son épouse dans le cou.
— Je n’y arriverai jamais... C’est impossible.
Cathy s’installa sur ses genoux et lui pinça le menton.
— Toi, tu es en gros manque de mamours... Allez, raconte !
— Je ne sais pas trop... Cette putain de machine, pour commencer. Regarde cette épave ! Je suis obligé de taper un doigt à la fois !
Cathy rajusta ses lunettes, repoussa le chariot, introduisit une feuille vierge et commenta :