Des crépitements, au cœur de l’âtre.
— Dans ce cas, Adeline a peut-être ses raisons pour ne rien dire, des raisons qui ne concernent quelle. Chacun a ses jardins secrets. Mais apparemment, tout ceci vous obsède.
Il soutint son regard.
— Tout me concerne, ici.
Cathy voulut se lever pour couper court à la conversation, mais elle fut interrompue dans son mouvement par l’arrivée d’Adeline.
— Tenez, quand on parle du loup, chuchota Doffre en claquant des doigts. Mon abricot, sers-nous un verre, si tu le veux bien ! Vodka, Cathy ?
— Pourquoi pas ? Ça égaiera un peu.
Adeline versa deux doses d’alcool. Arthur la déshabillait du regard.
— Allergique à la vodka ? la nargua-t-il.
— Non, désolée, mais je ne supporte pas trop, s’excusa Adeline. Je préfère le jus d’orange.
Il lui effleura le dos.
— La plus belle des flammes... Ce kimono te va à ravir... Tu aimes le rouge, n’est-ce pas ?
— Tu as bien choisi. Cet ensemble est... parfait.
Ils trinquèrent.
— Dis-moi Cathy, cette mélodie en boucle dans le labo, c’est quoi ?
Cathy vida son verre, cul sec. Adeline, asthmatique...
— Cathy ?
— Oui,
excuse-moi, répliqua-t-elle en faisant la grimace.
— C’est vrai que là, ça frôle l’obsession !
— La musique de l’écrivain, intervint Arthur. Il trouve son rythme d’écriture et ses idées au son des instruments. Pareil à ces tueurs qui se repaissent du mode de vie de leurs victimes, avant de passer à l’acte.
— Géniale la comparaison, rétorqua Cathy.
Adeline vint s’asseoir près d’elle.
— Tiens, c’est marrant, cette histoire de musique... Quand j’étais gamine, je laissais en permanence un radiocassette sur mon bureau, dans ma chambre. Et quand je faisais mes devoirs, j’avais une chanson pour chaque matière. Je ne pouvais pas terminer mes exercices de maths sans écouter
— Peut-être parce que tu n’as jamais pris le temps d’y songer, souligna Arthur. Nous sommes aussi là pour ça. Faire ressurgir ce qu’on croyait mort. La nature et ses espaces vierges possèdent cette force cachée de délier les souvenirs. De bien terribles souvenirs, parfois.
— De bien terribles souvenirs, oui... répéta-t-elle.
Elle secoua imperceptiblement la tête, avant de reprendre :
— Tiens, au fait, avec Cathy on compte faire un aller-retour jusqu’au village, demain après-midi. Elle m’a dit que...
Un craquement effroyable la coupa net. La charpente grinça sauvagement. Le chalet trembla, du sol au plafond.
— C’était quoi ce truc !
Recroquevillée, la tête rentrée entre les épaules, Cathy scrutait le plafond avec de grands yeux ronds.
— Le chêne rouge... murmura Doffre.
— Le chêne rouge ?
— Je crains que votre sortie soit compromise, répliqua Arthur en désignant une fenêtre.
Cathy s’approcha de la vitre, pas très rassurée.
— Mince ! Il commence à neiger...
Lorsqu’elle se retourna, elle piégea le regard de Doffre balayant sa silhouette. Gênée, elle détourna les yeux vers l’arbre. Ce tronc torturé, vieux de trois cents ans...
— Cet arbre, Arthur... Quelle... quelle est son histoire ? questionna-t-elle. La date, gravée là-haut, octobre 1703, vous disiez que...
— Allons nous coucher, Adeline, veux-tu ? l’interrompit Arthur.
Adeline écarquilla les yeux.
— Mais on ne va pas laisser Cathy passer la soirée toute seule !
— Ne discute pas, s’il te plaît ! Allez, suis-moi !
Adeline enfonça deux grosses bûches au cœur de l’âtre et s’excusa auprès de Cathy, avant de disparaître, l’air désolée.
Cathy les regarda fondre dans l’obscurité du couloir, elle devant, lui derrière. Culotté, quand même, le Doffre. Pourquoi un tel empressement ? L’appel du lit ? Qu’allait-il lui faire subir...
La jeune femme resta seule un moment, en proie à ses interrogations. Ne s’élevaient plus, dans le salon, que les notes étouffées de l’œuvre de Schubert. La respiration du vent, contre la toiture...
Cathy contourna l’arbre, sans oser le regarder. Avec la danse des flammes, le tronc projetait des ombres tout autour. Des mains, sur les murs... On aurait dit que des mains, des dizaines de mains, cherchaient à l’agripper. Tout se mit à tourner. Sol, poutres, parois. Elle s’empara de son peignoir et s’enfuit dans le couloir. Le grincement du plancher. Le long tapis pourpre. Le laboratoire et ses odeurs écœurantes. David, courbé sur sa machine à écrire.
Elle se plaqua contre son mari, le cœur en alerte.
— Tu m’as fait peur ! cria David en baissant le son du lecteur CD. Mais... Tu as froid ou quoi ? Tu trembles.
Elle peina à retrouver sa voix.