« Cet art, écrit-il, est certainement celui que nous pouvons revendiquer comme étant de notre invention. Nul ne sait quand les Hobbits ont commencé à fumer. Toutes les légendes et les histoires familiales le tiennent pour acquis : de tout temps, les gens du Comté ont fumé diverses herbes, certaines plus âcres, d’autres plus douces. Mais toutes les sources s’accordent pour dire que Tobold Sonnecornet, de Fondreaulong, dans le Quartier Sud, fut le premier à cultiver la véritable herbe à pipe dans ses jardins au temps d’Isengrim II, vers l’an 1070 du Comput du Comté. La meilleure du pays provient encore de cette région, en particulier les variétés que l’on nomme aujourd’hui Feuille de Fondreaulong, Vieux Toby et Étoile du Sud.
« Comment le Vieux Toby a découvert cette plante, personne n’en sut jamais rien, car il refusa d’en parler jusqu’à son dernier souffle. Il connaissait parfaitement les herbes, mais ce n’était pas un grand voyageur. On dit que, dans sa jeunesse, il se rendait souvent à Brie : le plus loin qu’il soit jamais allé en dehors du Comté, à n’en pas douter. Il est donc tout à fait possible qu’il ait eu connaissance de cette plante à Brie, où elle pousse abondamment sur les pentes méridionales de la colline, en tout cas de nos jours. Les Hobbits de Brie prétendent avoir été les tout premiers fumeurs de l’herbe à pipe. Ils prétendent, bien entendu, avoir tout fait avant les gens du Comté, qu’ils qualifient de “colons” ; mais dans ce cas précis, leur prétention a selon moi toutes les chances d’être fondée. Et il ne fait aucun doute que c’est à partir de Brie que l’art de fumer l’herbe authentique s’est répandu au cours des derniers siècles, notamment chez les Nains et les autres gens, Coureurs, Magiciens ou vagabonds, qui empruntaient encore cet ancien carrefour. Le foyer de cet art se trouve donc à la vieille auberge de Brie,
« Il reste que, comme j’ai pu le constater au cours de mes nombreux voyages dans le Sud, l’herbe en tant que telle ne semble pas indigène à nos régions, mais elle aurait gagné le Nord depuis l’Anduin inférieur, où elle a selon moi été apportée d’au-delà de la Mer par les Hommes de l’Occidentale. Elle pousse abondamment au Gondor, et elle y est plus grande et plus luxuriante que dans le Nord, où elle ne se trouve pas à l’état sauvage et ne s’épanouit que dans des endroits chauds et abrités comme Fondreaulong. Les Hommes du Gondor l’appellent
3. De l’ordonnancement du Comté
Le Comté était divisé en quatre districts, les Quartiers précédemment mentionnés, Nord, Sud, Est et Ouest ; et eux-mêmes en un certain nombre de domaines ancestraux qui portaient encore les noms d’anciennes familles influentes – même si, au temps de cette histoire, ces noms n’étaient plus désormais confinés à leurs domaines respectifs. Presque tous les Touc vivaient encore dans le Pays-de-Touc, ce qui n’était par le cas de bien d’autres familles, tels les Bessac ou les Boffine. À l’extérieur des Quartiers se trouvaient les Marches orientales et occidentales : le Pays-de-Bouc (p. 135) et la Marche-de-l’Ouest, rattachée au Comté en 1452 C.C.
Le Comté, à cette époque, n’avait pour ainsi dire aucun « gouvernement ». Le plus souvent, les familles géraient leurs propres affaires. Produire leur nourriture et la consommer occupait le plus clair de leur temps. Pour le reste, ils avaient coutume d’être généreux, et non pas cupides mais mesurés et contents de leur sort, de sorte que les terres, les fermes, les ateliers et les petits métiers avaient tendance à demeurer inchangés pendant des générations.
Ils conservaient, bien entendu, cette tradition ancienne concernant le grand roi de Fornost – ou Norferté, comme ils l’appelaient – loin au nord du Comté. Mais cela faisait plus de mille ans qu’il n’y avait plus de roi, et même les ruines de Norferté-les-Rois étaient couvertes d’herbe. Pourtant, on avait encore coutume de dire des hommes sauvages et des créatures mauvaises (comme les trolls) qu’ils n’avaient jamais entendu parler du roi. Car les Hobbits attribuaient toutes leurs lois essentielles au roi de jadis ; et d’ordinaire, ils les observaient de plein gré, car c’étaient les Règles (comme ils disaient), aussi anciennes que justes.