Devant l’écran éteint, Véda essaya d’imaginer le Cerveau Prophétique. Elle croyait voir un immense cerveau humain avec ses circonvolutions palpitantes, bien qu’elle sût que c’étaient de grandes machines électroniques de classe supérieure, capables de résoudre les problèmes les plus complexes du domaine connu des mathématiques. La planète ne possédait que quatre machines de ce genre, différemment spécialisées.
Véda n’eut pas longtemps à attendre. L’écran se ralluma et Mven Mas lui demanda de l’appeler dans six jours, vers la fin de la soirée.
— Mven, vous êtes un auxiliaire inestimable!
— Pour l’unique raison que j’ai quelques connaissances et quelques droits en mathématiques? C’est votre travail à vous qui est inestimable, car vous connaissez les langues et les cultures anciennes… Véda, vous êtes trop absorbée par l’Ere du Monde Désuni!
Elle fronça les sourcils, mais l’Africain rit de si bon cœur qu’elle suivit son exemple et disparut après un geste d’adieu.
Mven Mas la revit au vidéophone à la date convenue.
— Inutile de parler, je devine que la réponse est défavorable.
— Oui. La stabilité est audessous de la limite de sécurité… Si on procède comme d’habitude, le déblai constituera un kilomètre cube de calcaire.
— Nous n’avons donc qu’un moyen: sortir les coffresforts de la seconde caverne par un tunnel, dit tristement Véda.
— Vautil la peine de vous désoler?
— Pardonnezmoi, Mven, mais vous aussi vous étiez devant une porte qui dissimulait un mystère. Le vôtre était grand, universel, et le mien est petit. Mais du point de vue émotif, mon échec est égal au vôtre.
— Nous voilà compagnons d’infortune. Je vous garantis qu’on se heurtera maintes fois encore à des portes d’acier. Elles se multiplieront à mesure que nos visées seront plus audacieuses.
— L’une d’elles finira bien par s’ouvrir!
— Certes.
— Mais vous n’avez pas tout à fait renoncé?
— Bien sûr que non. Nous recueillerons de nouveaux faits, des coefficients plus exacts.
— Et s’il fallait attendre toute votre vie?
— Qu’estce que ma vie individuelle, comparée aux progrès de la science!
— Où est votre ardeur, Mven?
— Elle n’est pas disparue, elle est seulement jugulée… par la souffrance.
— Et Ren Boz?
— Il va mieux. Il cherche à préciser son abstraction.
— Je vois. Une minute, Mven… Quelque chose d’important!
L’écran de l’Africain s’éteignit, et quand il se ralluma, Mven Mas crut voir une autre femme, juvénile et insouciante.
— Dar Véter redescend sur la Terre. Le satellite 57 est achevé avant terme.
— Déjà! Tout est fait?
— Non, seulement le montage extérieur et l’installation des machines énergétiques. Les travaux intérieurs sont plus faciles. On a rappelé Dar Véter pour qu’il prenne du repos et analyse le rapport de Junius Ante sur un nouveau mode de transmission par l’Anneau.
— Merci, Véda. Je serais heureux de revoir Dar Véter.
— Vous le verrez certainement… Mais je n’ai pas fini. Grâce aux efforts conjugués de l’humanité, on a amassé de l’anaméson pour le
— Oui. La planète leur montrera, au moment des adieux, ce qu’elle a de plus beau et de plus séduisant. Comme ils auraient voulu voir la danse de Tchara à la Fête des Coupes de Feu, la danseuse la répétera pour eux avant l’envol, au cosmoport central d’El Homra… Rendezvous làbas!
— C’est entendu, cher Mven Mas!
CHAPITRE XV. LA NEBULEUSE D’ANDROMEDE
La vaste plaine d’El Homra s’étend au sud du golfe de Grande Syrte, en Afrique du Nord. Avant la suppression des cycles alizéens et la transformation du climat, c’était une hamada, désert de gravier jpoli et de rochers.asguleux, d’une teinte rougeatre qui a donné au site le nom de hamada
la Rouge. Océan de feu les jours de soleil, océan d’aigre bise les nuits d’automne et d’hiver. Il ne restait à présent de la hamada que le vent qui faisait ondoyer sur le terrain ferme l’herbe haute et bleuâtre transplantée d’Afrique australe. Le sifflement du vent et l’ondulation de l’herbe éveillaient dans l’âme une vague mélancolie et le sentiment d’avoir déjà vu ce paysage steppique plus d’une fois et en diverses circonstancesi dans la joie et le chagrin…
Les envols et les atterrissages des astronefs laissaient dans la savane des brûlures de près d’un kilomètre de diamètre. Ces cercles étaient entourés de grillages métalliques rouges et restaient isolés pendant dix ans, durée deux fois plus longue que celle de la désagrégation des gaz d’échappement des moteurs. Après un atterrissage ou un départ, le cosmoport déménageait ailleurs. Cela prêtait à l’équipement et aux locaux un caractère provisoire et apparentait le personnel aux anciens nomades du Sahara, qui avaient vagabondé là pendant des millénaires sur des animaux bossus au cou cambré et aux pattes calleuses, appelés dromadaires…