— J’y suis forcé. En refusant, j’aurais perdu non seulement le Cosmos, mais aussi la Terre.
— L’exploit est d’autant plus difficile que l’amour est plus grand?
— Vous m’avez toujours bien compris. Tenez, voici Niza… Je viens d’avouer ma tristesse à Véda…
La jeune fille amaigrie, qui ressemblait à un garçon avec ses cheveux roux coupés court, baissa les cils:
— C’est dur… Vous êtes tous… si bons, si gentils, si beaux… Quelle douleur de s’arracher, vivant, à la Terre nourricière… La voix de l’astronavigatrice défaillit.
Véda l’attira contre elle, en chuchotant des consolationsdont les femmes détiennent le secret.
— Neuf minutes jusqu’à la fermeture des trappes, dit sourdement Erg Noor, sans quitter Véda des yeux.
— Que c’est long! s’écria naïvement Niza, des larmes dans la voix.
Véda, Erg, Dar Véter, Mven Mas et les autres amis des astronautes furent affligés et surpris de se sentir à court de paroles. Ils ne trouvaient pas à formuler leur attitude envers l’exploit accompli au nom de la postérité. Tout le monde savait à quoi s’en tenir: qu’auraient donné les mots superflus?
Quels vœux, quelles plaisanteries ou promesses pouvaient toucher l’âme de ceux qui partaient pour toujours dans les abîmes du Cosmos?
Le deuxième système de signalisation de l’homme se révélait imparfait et cédait la place au troisième. Des regards profonds, qui exprimaient des élans ineffables, se croisaient dans un silence tendu ou buvaient la nature pauvre d’El Homra.
— Il est temps! La voix d’Erg Noor qui avait retrouvé son timbre métallique cingla comme un coup de fouet et précipita les adieux. Véda étreignit Niza avec un sanglot. Elles restèrent un instant joue contre joue, les yeux fermés, tandis que les hommes échangeaient des poignées de main. L’ascenseur ayait déjà fait disparaître huit astronautes par la trappe ovale du vaisseau. Erg Noor prit Niza par la main et lui parla à l’oreille. Elle se dégagea, le feu au visage, et courut vers l’astronef. S’étant retournée sur le seuil de l’ascenseur, elle rencontra les yeux immenses de Tchara qui était d’une pâleur inaccoutumée.
— Vous permettez que je vous embrasse, Tchara? demandatelle tout haut.
Sans répondre, Tchara Nandi se précipita sur le palier, enlaça d’un bras frémissant le cou de l’astronavigatrice, puis gauta à terre, toujours muette, et s’enfuit.
Erg Noor et Niza montèrent ensemble.
La foule se figea, lorsque deux silhouettes — un homme de grande taille et une svelte jeune fille — s’attardèrent un moment devant la trappe, sur la saillie du bord illuminé du
Véda Kong joignit les mains et Dar Véter entendit craquer ses jointures.
Erg Noor et Niza avaient disparu. Le trou noir se ferma d’une plaque ovale, de la même teinte neutre que le reste de la cuirasse. Au bout d’une seconde, l’œil le plus perçant n’aurait pu distinguer les traces de l’ouverture sur les flancs bombés du fuselage colossal.
L’astronef, dressé verticalement sur ses appuis écartés, avait quelque chose d’humain. L’impression provenait peutêtre de la boule de l’avant, coiffée d’un cône et munie de phares pareils à des yeux. Les arrêts de la partie centrale ressemblaient à des épaulières de chevalier. Le vaisseau était comme un titan aux jambes écartées, qui regardait altièrement pardessus les têtes levées de la foule…
Les sirènes mugirent d’une voix terrible. De larges platesformes automotrices, surgies comme par enchantement auprès du vaisseau, évacuèrent une grande partie du public. Les trépieds des vidéophones et des projecteurs reculèrent sans détourner du
— Ils ne nous reverront plus, ni même notre ciel? demanda Tchara à Mven Mas penché sur elle.
— Non! Au stéréotélescope peutêtre…
Des feux verts luisaient sous la carène de l’astronef. Le radiophare du bâtiment central tourna à une vitesse folle, annonçant au monde entier le prochain envol du vaisseau.
— L’astronef reçoit le signal du départ! rugit soudain une voix métallique si violente que Tchara tressaillit et se serra contre Mven Mas. Ceux qui sont encore à l’intérieur du cercle, levez les bras, sinon vous êtes morts! Levez les bras… sinon… cria l’automate pendant que ses projecteurs fouillaient le terrain, à la recherche des badauds restés dans la zone dangereuse.
N’ayant trouvé personne, ils s’éteignirent. Le robot hurla de nouveau, avec une frénésie accrue, semblatil à Tchara.