– Quelque chose qui vous arrive, Valentine, ne vous épouvantez point; si vous souffrez, si vous perdez la vue, l’ouïe, le tact, ne craignez rien; si vous vous réveillez sans savoir où vous êtes, n’ayez pas peur, dussiez-vous, en vous éveillant, vous trouver dans quelque caveau sépulcral ou clouée dans quelque bière; rappelez soudain votre esprit, et dites-vous: En ce moment, un ami, un père, un homme qui veut mon bonheur et celui de Maximilien, cet homme veille sur moi.
– Hélas! hélas! quelle terrible extrémité!
– Valentine, aimez-vous mieux dénoncer votre belle-mère?
– J’aimerais mieux mourir cent fois! oh! oui, mourir!
– Non, vous ne mourrez pas, et quelque chose qui vous arrive, vous me le promettez, vous ne vous plaindrez pas, vous espérerez?
– Je penserai à Maximilien.
– Vous êtes ma fille bien-aimée, Valentine; seul, je puis vous sauver, et je vous sauverai.»
Valentine, au comble de la terreur, joignit les mains (car elle sentait que le moment était venu de demander à Dieu du courage) et se dressa pour prier, murmurant des mots sans suite, et oubliant que ses blanches épaules n’avaient d’autre voile que sa longue chevelure et que l’on voyait battre son cœur sous la fine dentelle de peignoir de nuit.
Le comte appuya doucement la main sur le bras de la jeune fille, ramena jusque sur son cou la courtepointe de velours, et, avec un sourire paternel:
«Ma fille, dit-il, croyez en mon dévouement, comme vous croyez en la bonté de Dieu et dans l’amour de Maximilien.»
Valentine attacha sur lui un regard plein de reconnaissance, et demeura docile comme un enfant sous ses voiles.
Alors le comte tira de la poche de son gilet le drageoir en émeraude, souleva son couvercle d’or, et versa dans la main droite de Valentine une petite pastille ronde de la grosseur d’un pois.
Valentine la prit avec l’autre main, et regarda le comte attentivement: il y avait sur les traits de cet intrépide protecteur un reflet de la majesté et de la puissance divines. Il était évident que Valentine l’interrogeait du regard.
«Oui», répondit celui-ci.
Valentine porta la pastille à sa bouche et l’avala.
«Et maintenant, au revoir, mon enfant, dit-il, je vais essayer de dormir car vous êtes sauvée.
– Allez, dit Valentine, quelque chose qui m’arrive, je vous promets de n’avoir pas peur.»
Monte-Cristo tint longtemps ses yeux fixés sur la jeune fille, qui s’endormit peu à peu, vaincue par la puissance du narcotique que le comte venait de lui donner.
Alors il prit le verre, le vida aux trois quarts dans la cheminée, pour que l’on pût croire que Valentine avait bu ce qu’il en manquait, le reposa sur la table de nuit puis, regagnant la porte de la bibliothèque, il disparut après avoir jeté un dernier regard vers Valentine, qui s’endormait avec la confiance et la candeur d’un ange couché aux pieds du Seigneur.
CII. Valentine.
La veilleuse continuait de brûler sur la cheminée de Valentine, épuisant les dernières gouttes d’huile qui surnageaient encore sur l’eau; déjà un cercle plus rougeâtre colorait l’albâtre du globe, déjà la flamme plus vive laissait échapper ces derniers pétillements qui semblent chez les êtres inanimés ces dernières convulsions de l’agonie qu’on a si souvent comparées à celles des pauvres créatures humaines; un jour bas et sinistre venait teindre d’un reflet d’opale les rideaux blancs et les draps de la jeune fille.
Tous les bruits de la rue étaient éteints pour cette fois, et le silence intérieur était effrayant.
La porte de la chambre d’Édouard s’ouvrit alors, et une tête que nous avons déjà vue parut dans la glace opposée à la porte: c’était Mme de Villefort qui rentrait pour voir l’effet du breuvage.
Elle s’arrêta sur le seuil, écouta le pétillement de la lampe, seul bruit perceptible dans cette chambre qu’on eût crue déserte, puis elle s’avança doucement vers la table de nuit pour voir si le verre de Valentine était vide.
Il était encore plein au quart, comme nous l’avons dit.
Mme de Villefort le prit et alla le vider dans les cendres, qu’elle remua pour faciliter l’absorption de la liqueur, puis elle rinça soigneusement le cristal, l’essuya avec son propre mouchoir, et le replaça sur la table de nuit.
Quelqu’un dont le regard eût pu plonger dans l’intérieur de la chambre eût pu voir alors l’hésitation de Mme de Villefort à fixer ses yeux sur Valentine et à s’approcher du lit.
Cette lueur lugubre, ce silence, cette terrible poésie de la nuit venaient sans doute se combiner avec l’épouvantable poésie de sa conscience: l’empoisonneuse avait peur de son œuvre.
Enfin elle s’enhardit, écarta le rideau, s’appuya au chevet du lit, et regarda Valentine.