— Enfin Lena… Tu n'y penses pas? On dirait que tu ne sais pas ce qu'est le cinéma. Je ne suis pas seul. Il s'agit d'une équipe. Si l'un de nous prend des vacances, les autres sont bloqués.
— Téléphone-leur…
— Tu plaisantes?
— Dis que tu es fatigué… »
Il lui parla avec la douceur que prennent certains médecins avec leurs grands malades :
« Écoute-moi, Lena… Non, ne dis rien, écoute… Parfois, j'ai l'impression que tu as douze ans, que je dois tout t'expliquer, me donner un mal fou pour qu'en définitive tu n'y comprennes rien. Je n'ai pas épousé Satrapoulos, moi. Je ne suis pas milliardaire, moi, mais simplement riche. Et mon argent, je le gagne! Est-ce que tu comprends ça?
— Non. Je ne comprends pas.
— Ma chérie, je t'adore. Mais comment as-tu pu penser un instant que je sois un objet à ta disposition?
— Et pour elle, tu n'es pas un objet? »
Elle avait presque crié sa phrase, penchée vers lui, tendue vers son visage. Un garçon, qui se tenait devant la table, une carte à la main, préféra s'esquiver : étant donné la tournure des événements, le fromage pourrait attendre. Cette fois, ce fut Marc qui fit un effort pour se dominer.
« Sois gentille, Helena — il l'appelait Helena les jours de drame — rentre à ton hôtel, fais-toi belle, amuse-toi bien chez ton beau-frère, et quand tu seras revenue de Londres, téléphone-moi. Je t'assure, on y verra beaucoup plus clair dans deux jours. »
Lena sentit que la partie était perdue. La rage l'envahit devant ce désir de lui qu'elle ne pourrait pas assouvir. Elle se révolta :
« Dans deux jours? Ajoutés à tous les autres que je passe à t'attendre, à poireauter pour un signe de toi et accourir au premier appel, ça en fait combien, de jours? Tu crois que ça va pouvoir durer, dis, tu le crois? »
Il regarda sa montre et laissa tomber froidement :
« Je crains d'avoir à partir tout de suite. On m'attend.
— On t'attend toujours, hein? Tout le monde t'attend! »
Le visage de Marc, sa silhouette étaient connus de la terre entière, mais encore plus à Paris : qu'un loufiat téléphone à un journaliste, que la moindre photo paraisse, que le moindre article soit imprimé sur cette scène ridicule, et il était foutu. Belle le terrifiait, lui menait la vie dure, le menaçait d'un ton sarcastique de le laisser tomber. Déchaînée maintenant, Lena hurlait de plus belle :
« Eh bien, rentre chez toi! Va la retrouver, ta maman! Puisque tu ès marié avec elle! »
La phrase toucha si bien sa cible que Marc commit l'imprudence d'y répondre :
« Va plutôt retrouver ton papa! »
Lena devint livide, se leva d'un bond, s'accrocha à la nappe sur laquelle se répandit le bordeaux, et, jaillissant sur le trottoir bondé de touristes, fila droit sur le quai. Cent mètres plus loin, le feu venait de passer au vert. Il y eut des hurlements de pneus. Marc serra les poings, se dressa à son tour, priant le Ciel pour que Lena n'ait pas roulé sous la marée métallique des voitures libérées. D'instinct, Lena, frôlée par un camion, était revenue sur le trottoir, saine et sauve, dans un fracassant concert d'avertisseurs et d'injures. Marc fut horrifié par son expression égarée. Il se précipita vers elle, elle le vit et cria : « Ne m'approche pas! » Hagarde, elle chercha des yeux un refuge possible, pour lui échapper. Marc était sur elle, la saisissait, tentant de la maintenir de force dans ses bras, psalmodiant des « je t'en prie, je t'en prie » à n'en plus finir, auxquels elle répondait par des « laisse-moi » farouches, essayant de toutes ses forces de se dégager.