— Non. Bien qu'en un sens…
— S'agit-il de la femme avec qui vous vivez?
— Pas du tout, non. Une autre.
— Elle joue un rôle… Ou on lui fait jouer un rôle… Qu'est-ce que c'est?
— Politique…
— Eh bien, je peux vous affirmer qu'elle ne tient pas le coup. Elle craque!
— C'est impossible.
— Seigneur, que de menaces! La mort… »
Le Grec s'accrocha à son fauteuil :
« Pour elle?
— Non, non… La mort partout… Mais elle est protégée… Elle est mariée?
— Oui.
— Quel est votre problème?
— J'aimerais savoir… J'ai l'impression qu'elle me trouve… sympathique. Elle m'envoie des cartes, comme une gosse… Demain, peut-être, elle aura tout un pays à ses pieds…
— Vous la voyez souvent?
— Non. Une fois, elle est venue en croisière sur mon bateau. Elle m'a dit que, si elle en avait le choix, c'est l'endroit où elle préférerait vivre.
— Qu'est-ce qui vous tracasse?
— Elle m'intimide.
— Vous êtes amoureux?
— Je ne sais pas. Je vous parais idiot, hein?
— Pas plus que n'importe quel amoureux… », dit pensivement le Prophète.
Il lança un regard perçant à Soc rate :
« Tout à l'heure, nous regarderons votre carte du ciel. Je vous indiquerai s'il y a lieu de vous rapprocher de cette femme, et quand. Pour l'instant, j'ai quelque chose à vous dire. Kallenberg est venu me voir il y a trois jours. »
Le Grec se durcit :
« Quand cessera-t-il de m'emmerder, celui-là? Je croyais qu'après mon divorce et les raclées que je lui ai déjà infligées, il allait se tenir tranquille. Pourquoi me cherche-t-il des crosses?
— Vous lui gâchez la vie.
— Je ne fais que me défendre!
— Vous n'y êtes pas. Vous lui gâchez la vie parce que vous le prenez toujours de vitesse. Vous contraignez à jouer les seconds rôles un type qui est malade quand il n'est pas le premier. »
Satrapoulos eut un sourire enfantin et carnassier :
« Qu'y puis-je?
— Dans votre dos, il est en train de rafler à n'importe quel prix les actions de vos sociétés.
— Qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse? Même s'il les rachetait toutes, c'est quand même moi qui suis majoritaire. J'ai 52 pour 100.
— Vous tout seul?
— Pratiquement, oui. Pour la forme, mes enfants ont 2 pour 100, et Lena, 3 pour 100.
— Supposez qu'il s'approprie ces 5 pour 100?
— Vous rigolez? Achille et Maria ont douze ans!
— Eux, oui, mais Lena? »
Bon dieu, il avait raison! Si l'envie lui en prenait, Lena pouvait le mettre réellement en difficulté. Ce fut à cet instant précis que l'idée germa. A vrai dire, ce ne fut pas une germination à proprement parler, mais une espèce de clairvoyance foudroyante, tout un déroulement de temps en raccourci, causes, effets, exécution, avantages. Il y avait belle lurette qu'il désirait virer par-dessus bord ceux dont il avait eu besoin pour établir sa puissance : il venait de trouver le moyen de les larguer :
« Je crois que je vais tomber gravement malade. Je crois même que je vais mourir. »
Le Prophète fit la moue :
« Hum… Si cela était, je le saurais. »
Le Grec lui saisit les mains et débita des phrases à une cadence de mitrailleuse :
« Écoutez-moi!… Supposez que je meure… supposez que mon entourage cherche à garder la nouvelle secrète, mais qu'il y ait des fuites… une seule fuite… Je meurs, d'accord, mais la Bourse est malade. Vous me suivez?… Moi mort, mes affaires ne valent pas cher, tout mon avoir est investi dans les pétroliers en chantier, mes super-géants. Qui veut reprendre mon passif?… Personne! Ceux qui ont des actions vont avoir la trouille de les voir baisser! Conséquence : ils vendent. Et qui rachète un peu plus tard?…
— Vous avez choisi votre genre de mort?
— C'est un soin que je vous laisse. »
Le Prophète eut un rire rentré :
« C'est une idée superbe! Mais ne nous énervons pas!… Attendez… On va voir à quelle période le deuil siéra le mieux à votre entourage… »