Sophie rentra à la maison, déposa son cartable et le courrier pour sa mère. Elle monta dans sa chambre, sortit sa belle boîte en fer où elle gardait sa collection de jolies pierres, les renversa par terre et mit à leur place les deux grandes enve loppes. Ensuite elle ressortit dans le jardin avec la boîte sous le bras. Auparavant, elle n'oublia pas de préparer le repas pour Sherekan.
— Minou ! Minou !
De retour dans sa cabane, elle ouvrit l'enveloppe et en sor tit plusieurs feuilles dactylographiées qu'elle se mit à lire :
Une étrange créature
Nous
revoilà. Comme tu constates, ce petit cours de philoso phie t'arrive par petits morceaux pas trop indigestes, j'espère. Voici quelques autres remarques d'introduction.T
'ai-je déjà dit que la seule qualité requise pour devenir un bon philosophe est notre capacité d'étonnement? Sinon, je te le répète maintenant : la seule qualité requise pour devenir unbon
philosophe est de s'étonner.Tous
les petits enfants possèdent ce don. Il ne manquerait plus que ça. Après quelques mois à peine, ils se retrouvent pro jetés dans une toute nouvelle réalité. Il semble toutefois que ce don de s'étonner se perde en grandissant. Pourquoi ça? Sophie Amundsen connaîtrait-elle par hasard la bonne réponse ?Reprenons
: si un nourrisson avait su parler, il aurait sûre ment exprimé son étonnement de tomber dans un monde étrange. En effet, même si l'enfant ne peut parler, il n'y a qu'à le voir montrer du doigt toutes sortes de choses et saisir avec curiosité tout ce qui lui passe à portée de la main.Avec
l'apparition du langage, l'enfant s'arrête et se met à crier « Ouah ouah ! » dès qu'il aperçoit un chien. Nous voyons l'enfant s'agiter dans sa poussette en levant les bras : « Ouah ouah! Ouah ouah! » Nous autres qui sommes un peu plus avancés en âge, on se sent un peu dépassés par cet enthou siasme débordant. « Oui, je sais, c'est un ouah ouah, ajoutons- nous d'un ton blasé, mais maintenant ça suffît, sois sage ! » Nous ne partageons pas sajubilation. Nous avons déjà vu des chiens.Ce
déchaînement de cris de joie se reproduira peut-être des centaines de fois avant que l'enfant réussisse à croiser un chien sans se mettre dans tous ses états. Ou un éléphant, ou un hippopotame. Mais bien avant que l'enfant ne sache parler correctement — et bien avant qu'il n'apprenne à penser de manière philosophique — le monde sera devenu une habitude.Quel
dommage ! si tu veux mon avis.Mon
propos est que tu ne dois pas faire partie de ces gens qui acceptent le monde comme une évidence, ma chère Sophie. Par mesure de sécurité, nous allons nous livrer à des petits exercices de l'esprit avant de commencer le cours de philosophie propre ment dit.Imagine
-toi que tu te balades un beau jour en forêt. Soudain tu aperçois un vaisseau spatial sur le chemin devant toi. Un martien en descend et reste planté là à te dévisager...Qu
'est-ce qui te viendrait alors à l'esprit? Oh ! peu importe finalement. Mais n'as-tu jamais été frappée par le fait que tu e5 un martien toi-même ?