Et comme en réponse, venues d’en bas, sur la route qui montait hors de la vallée, leur parvinrent des voix qui chantaient :
Frodo et Sam s’arrêtèrent et s’assirent en silence parmi les ombres douces, jusqu’au moment où une vague lueur les avertit que les voyageurs approchaient.
Gildor était là, et beaucoup d’autres belles gens du peuple elfique ; et Sam s’étonna de voir Elrond et Galadriel chevauchant parmi eux. Elrond portait un manteau de gris, et il avait une étoile au front et une harpe d’argent à la main, et à son doigt était un anneau d’or serti d’une grande pierre bleue, Vilya, le plus puissant des Trois. Mais Galadriel était montée sur un palefroi blanc, et elle miroitait dans sa robe blanche comme des nuages devant la lune ; car une douce lumière semblait émaner de sa personne. À son doigt brillait Nenya, l’anneau fait de
Elrond les accueillit avec gravité et courtoisie, et Galadriel leur sourit. « Eh bien, maître Samsaget, dit-elle. Vous avez fait bon usage de mon cadeau, à ce que j’entends – et à ce que je vois. Le Comté sera, maintenant et plus que jamais, béni et bien-aimé. » Sam s’inclina, mais ne trouva rien à dire. Il avait oublié combien la Dame était belle.
Alors, Bilbo s’éveilla et ouvrit les yeux. « Salut, Frodo ! dit-il. Tu sais quoi, j’ai dépassé le Vieux Touc aujourd’hui. C’est au moins ça de réglé. Maintenant, je me sens tout à fait prêt pour un autre voyage. Tu viens avec moi ? »
« Oui, bien sûr, dit Frodo. Les Porteurs de l’Anneau devraient partir ensemble. »
« Où allez-vous, Maître ? » s’écria Sam ; mais il comprit enfin ce qui se passait.
« Aux Havres, Sam », répondit Frodo.
« Et je peux pas venir. »
« Non, Sam. Pas pour l’instant en tout cas, pas plus loin que les Havres. Même si tu as été aussi un Porteur de l’Anneau, quoique pour un court moment. Ton heure viendra peut-être. Ne t’afflige pas trop, Sam. Tu ne peux être toujours déchiré en deux. Il te faudra être un et entier, pendant de nombreuses années. Tu as tant de choses à goûter et à être, et tant à faire. »
« Mais…, fit Sam – et les larmes lui montèrent aux yeux. Je croyais que vous alliez goûter les joies du Comté, vous aussi, pendant des années encore, après tout ce que vous avez fait. »
« Je l’ai cru aussi, il fut un temps. Mais ma blessure est trop profonde, Sam. J’ai voulu sauver le Comté, et il l’a été, mais pas pour moi. Il en va souvent ainsi, Sam, quand les choses sont en péril : quelqu’un doit y renoncer, les perdre, afin que d’autres puissent en jouir. Mais tu es mon héritier : tout ce que j’avais et que j’aurais pu avoir, je te le laisse. Et tu as Rose aussi, et Elanor ; et le petit Frodo viendra, et la petite Rosie, et Merry, et Boucles-d’or et Pippin ; et peut-être d’autres que je ne puis voir. Tes mains et ton jugement seront sollicités de partout. Tu seras maire, bien entendu, aussi longtemps que tu le désireras, et le plus célèbre jardinier de toute l’histoire ; et tu liras des passages du Livre Rouge, et tu entretiendras le souvenir de l’âge qui n’est plus, de sorte que les gens se rappelleront le Grand Péril et chériront d’autant plus le pays qu’ils aiment tant. Et ce faisant, tu seras aussi occupé et aussi heureux qu’on peut l’être, tant que continuera ta partie de l’Histoire.
« Allons, viens avec moi ! »
Alors, Elrond et Galadriel poursuivirent leur chevauchée ; car le Troisième Âge s’était achevé, les Jours des Anneaux étaient révolus, et c’en était fait de l’histoire et du chant de ces années. À leurs côtés venaient de nombreux Elfes du Haut Peuple qui ne voulaient plus rester en Terre du Milieu ; et parmi eux, remplis d’une tristesse pourtant bienheureuse et sans amertume, se trouvaient Sam, et Frodo, et Bilbo, et tous les Elfes ravis de leur faire honneur.