Halls n’apprécia guère la cave sordide où nous avions établi nos quartiers. C’est ainsi qu’à sa suite, j’entrai volontairement dans l’infanterie motorisée. Nous étions si dégoûtés de manier la pelle et de servir de bonniches à toute l’armée que cette perspective nous sembla un bon filon. Cette décision faillit ensuite nous coûter si souvent la vie que je n’aurai pas le temps de tout raconter ! Toujours est-il que, maintenant que j’en suis sorti, je puis dire que je ne regrette pas d’avoir servi dans cette unité combattante où, en dépit de tout, je trouvai une étonnante camaraderie jamais retrouvée nulle part ailleurs. C’est une chose inexplicable qui tient à tout, au moindre instant.
DEUXIÈME PARTIE
LA GROSS DEUTSCHLAND
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Chapitre IV
La permission
Par un beau matin du printemps ukrainien nous fûmes réunis à Trevda, où Halls avait passé des jours si heureux. Deux autres compagnies nous rejoignirent sur une colline recouverte d’herbe courte et moussue – cette herbe rase, drue au point que chaque brin semble vouloir écarter l’autre, est tellement vigoureuse qu’elle devient une savane un mois plus tard. Nous étions environ neuf cents. Au sommet de cette colline, sur le plateau d’un véhicule démoli, quelques officiers de l’infanterie nous tinrent un petit discours. Autour d’eux, une vingtaine d’hommes avaient dressé des drapeaux ainsi que les fanions de leurs régiments. Le discours fut très courtois. Ces messieurs nous félicitèrent même de notre attitude passée – attitude que, paradoxalement, le moindre compte rendu du front nous reprochait quotidiennement. Nous en ouvrions des yeux démesurés. C’était à cause de cette attitude exemplaire que, ce jour-là, on faisait l’honneur à ceux qui le désiraient de les incorporer dans l’armée combattante. Il y eut tout de suite des volontaires, une vingtaine environ. Les officiers, connaissant notre « timidité », voulurent nous mettre plus à l’aise. Le discours se prolongea dans le même style. Certains hauts faits furent même racontés par le détail. Quinze autres volontaires sortirent des rangs. Parmi eux, Lensen qui, d’une façon évidente, était né pour la bagarre.
Puis, nos sauveurs nous parlèrent de quinze jours de permission. Il y eut au moins trois cents volontaires. Alors des lieutenants descendirent de la plate-forme et parcoururent nos rangs. Un capitaine continuait à haranguer les troupes de la Rollbahn puis les lieutenants désignèrent et invitèrent beaucoup d’entre nous à faire les trois pas fatidiques en avant.
Leur choix s’était porté surtout parmi les plus grands, parmi ceux qui avaient les meilleures mines, parmi les plus forts. Un index, ganté de peau noire, fut soudain pointé, droit comme le canon d’un mauser, sur le front de mon meilleur copain, de mon frère dans toute cette guerre. Comme hypnotisé, Halls fit trois grandes enjambées et le bruit que firent ses talons, lorsqu'ils se heurtèrent, ressembla au claquement d’une porte qui se ferme : une porte menaçante qui allait peut-être me séparer à jamais du seul vrai ami que j’aie jamais eu, de la seule raison de vivre qui, finalement, me tenait à cœur au milieu du désespoir que j’avais déjà traversé.
Après un court instant d’hésitation, je fus sur le rang des volontaires sans y avoir été forcé. Mon regard, bête de confusion, croisa un instant celui de Halls dont les joues rosirent comme celles d’un gosse à qui on vient de faire plaisir et qui ne sait comment l’exprimer.
À l’avenir, mes coordonnées seraient les suivantes :
Gefreiter Sajer.G.
100/1010 G4. Siebzehntes Bataillon Leichtinfanterie
Gross Deutschland Division SUD.G.
À la fin de la journée, nous avions regagné les sordides abris que nous occupions précédemment. Rien apparemment n’était changé. Nous savions seulement que nos noms avaient été inscrits sur les listes de recrutement d’infanterie. C’était, pour l’instant, la seule différence entre la vie que nous menions hier comme convoyeurs et celle d’aujourd’hui en temps que fantassins. Nous restâmes un peu perplexes sur l’attitude nouvelle que nous aurions dû prendre. Nos sous-offs ne nous laissèrent guère le temps de méditer sur notre situation. Durant plusieurs jours nous fûmes attelés au décrottage et à la remise en état du matériel qui avait souffert pendant la dernière bataille. Celle-ci semblait s’être calmée, quoique de vigoureuses contre-attaques soviétiques aient rallumé parfois de nombreux incendies au nord-est de la ville, à Slavianks. Nous fûmes employés également au répugnant travail qui consistait à ensevelir les milliers de morts que coûta la bataille pour Kharkov.