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Il ne la voit pas pendant quelques jours. Mais il pense à elle. Il lui semble que quelque chose pourrait naître là, dans le désir qu'il a de la retrouver. Son corps lui reste, et l'odeur de son corps. Plus que celui des autres.

Il vit une existence de célibataire joyeux. Les femmes comptent moins qu'il ne les compte. Il se livre à ce jeu pour combler des vides. Qui, certains soirs, sont des gouffres. Il est libre. Il entre dans les histoires par la porte et en sort par les fenêtres. Il ne construit pas. Il épuise et s'épuise. Le matin, quand il décampe, il a la gueule de bois. Le soir, il recommence. Ses amis disent qu'il est un chasseur. Ils se trompent: il ne blesse personne et nul n'est la proie de l'autre.

Elle téléphone:

«C'est Jeanne.»

Il est dix-neuf heures.

«Je voulais juste dire bonjour.»

Elle n'a pas le temps de parler longtemps parce que les enfants sont dans leur bain.

«On se rappelle après?

«Je ne pourrai pas.»

Il en déduit qu'elle n'est pas seule.

«Ou alors, tard.»

Il en déduit qu'elle est seule.

«Mais pas après minuit.»

Qu'elle n'est pas seule.

«Je suis fatiguée… Je voudrais me coucher tôt.»

Qu'elle est seule.

«Je te téléphone vers onze heures, dit-il.

«Non. C'est moi qui t'appelle.»

Qu'elle est parfois seule, et parfois pas seule.

«Je t' attendrai.»

– Oui, mais si tu as autre chose à faire…

– Je ne bouge pas.


Elle appelle un peu avant minuit. Ils parlent pendant deux heures. Ils se racontent leur premier matin. Ils sont allés à Montmartre. Elle lui a fait découvrir l'allée des Brouillards, et lui, la maison de Max Jacob. Ils ont déjeuné au pied des vignes, à quelques pas du Lapin agile. l'ancien Bateau-Lavoir était fermé.

Plus tard, il l'a déposée rue Biscornet, près de la Bastille, à l’Atelier des bijoux, où elle travaille. Il lui a demandé quand ils se reverraient. Elle a répondu qu'elle ne savait pas, qu'elle avait les enfants toute la semaine et le week-end qui suivait.


Il dit: «Nous sommes lundi. Tu as encore tes enfants?

«Jusqu'à vendredi.»

«Les miens viennent demain soir…»

Il lui propose de l'emmener dîner le samedi. Elle hésite. Quelque chose est prévu qu'elle ne pourra probablement pas annuler. Il se retient de poser les questions qui le brûlent.

«Occupons-nous de nos enfants et rappelons nous plus tard, suggère-t-elle.

– Plus tard, c'est quand?

– Plus tard, c'est quand tu veux.»


Le mardi, à quinze heures cinquante, il quitte sa maison pour aller chercher ses enfants à l'école. Une nappe d'angoisse le recouvre toujours lorsqu'il se retrouve dans la grisaille un peu provinciale de la banlieue chic où ils habitent. Leur mère s'est exilée à Sèvres quelques années plus tôt, pour prendre la direction d'une agence immobilière locale. Les garçons s'y trouvent bien; c'est le plus important.

A seize heures quinze, il arrive le premier, toujours, devant l'école de Tom.

Il se campe près d'un parpaing gris, sur le trottoir d'en face, à un mètre cinquante des grilles, légèrement décalé sur la droite, non loin de l'entrée de l'immeuble. De là, il peut voir sans être remarqué.

Lorsqu'il grimpe sur la pierre, il embrasse tout le chemin qu'empruntent les enfants pour sortir de l'école: la cour de la gardienne, un fragment du préau, le porche d'où ils surgiront. Surtout, il embrasse son fils à l'instant où il apparaît, cent mètres plus loin, au seuil de la porte, quand il n'est pas à lui mais encore aux autres, à ses copains, à sa maîtresse, à une vie quotidienne qu'ils ne partagent pas et dont chaque mardi, à quatre heures et demie, il essaie de voler l'expression d'une expression. C'est pourquoi il vient plus tôt, c'est pourquoi il n'est jamais en retard: pour voir son enfant vivre sans lui.

Mais ce jour-là, la place est occupée. Quatre femmes entourent le parpaing gris. Il les reconnaît – sans les connaître. Il y a l'Angoissée, au bras d'une montre qu'elle consulte sans cesse; la Scrupuleuse, qui sait à quelle température on a servi la purée à la cantine du lundi; l'Enervée, au geste ample tendance moulinet, dont le fiston a cassé dix-huit dents au premier de la classe et qui lance une première pétition pour l'élargissement du trottoir devant l'école, et une seconde pour la gratuité des soins dentaires en faveur des enfants scolarisés; la Culpabilisée, bénévole pour tout, sorties de classe, répétition des devoirs, aide à la maîtresse ou à la directrice; la Pressée, en avance ce jour-là, qui se gare d'habitude en double file, trois petits coups de Klaxon et puis s'en va.

Il reste à l'écart. Il fait les cent pas. Chaque fois qu'il s'approche du groupe, il jette un regard en coin vers sa pierre. Il attend que les intruses s'en éloignent pour se précipiter.

Mais elles ne bougent pas. L'heure tourne. Le trottoir, devant l'école, se remplit. Il songe qu'il déteste les parents d'élèves. Il voudrait leur dire. Il va leur dire. A quatre heures vingt-neuf, il les bousculera et retrouvera sa position. Nul ne l'en délogera. S'il le faut, désormais, il arrivera devant l'école à quatre heures dix. A quatre heures cinq. A quatre heures pile.

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