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J'ai changé. Je raconterai plus tard quels acides ont rongé les transparences déformantes qui m'enveloppaient, quand et comment j'ai fait l'apprentissage de la violence, découvert ma laideur – qui fut pendant longtemps mon principe négatif, la chaux vive où l'enfant merveilleux s'est dissous – par quelle raison je fus amené à penser systématiquement contre moi-même au point de mesurer l'évidence d'une idée au déplaisir qu'elle me causait. L'illusion rétrospective est en miettes; martyre, salut, immortalité, tout se délabre, l'édifice tombe en ruine, j'ai pincé le Saint-Esprit dans les caves et je l'en ai expulsé; l'athéisme est une entreprise cruelle et de longue haleine: je crois l'avoir menée jusqu'au bout. Je vois clair, je suis désabusé, je connais mes vraies tâches, je mérite sûrement un prix de civisme; depuis à peu près dix ans je suis un homme qui s'éveille, guéri d'une longue, amère et douce folie et qui n'en revient pas et qui ne peut se rappeler sans rire ses anciens errements et qui ne sait plus que faire de sa vie. Je suis redevenu le voyageur sans billet que j'étais à sept ans: le contrôleur est entré dans mon compartiment, il me regarde, moins sévère qu'autrefois: en fait il ne demande qu'à s'en aller, qu'à me laisser finir le voyage en paix; que je lui donne une excuse valable, n'importe laquelle, il s'en contentera. Malheureusement je n'en trouve aucune et, d'ailleurs, je n'ai même pas l'envie d'en chercher: nous resterons en tête à tête, dans le malaise, jusqu'à Dijon où je sais fort bien que personne ne m'attend.

J'ai désinvesti mais je n'ai pas défroqué: j'écris toujours. Que faire d'autre?

Nulla dies sine linea.

C'est mon habitude et puis c'est mon métier. Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée, à présent je connais notre impuissance. N'importe: je fais, je ferai des livres; il en faut; cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c'est un produit de l'homme: il s'y projette, s'y reconnaît; seul, ce miroir critique lui offre son image. Du reste, ce vieux bâtiment ruineux, mon imposture, c'est aussi mon caractère: on se défait d'une névrose, on ne se guérit pas de soi. Usés, effacés, humiliés, rencognés, passés sous silence, tous les traits de l'enfant sont restés chez le quinquagénaire. La plupart du temps ils s'aplatissent dans l'ombre, ils guettent: au premier instant d'inattention, ils relèvent la tête et pénètrent dans le plein jour sous un déguisement: je prétends sincèrement n'écrire que pour mon temps mais je m'agace de ma notoriété présente; ce n'est pas la gloire puisque je vis et cela suffit pourtant à démentir mes vieux rêves, serait-ce que je les nourris encore secrètement? Pas tout à fait: je les ai, je crois, adaptés: puisque j'ai perdu mes chances de mourir inconnu, je me flatte quelquefois de vivre méconnu. Grisélidis pas morte. Pardaillan m'habite encore. Et Strogoff. Je ne relève que d'eux qui ne relèvent que de Dieu et je ne crois pas en Dieu. Allez vous y reconnaître. Pour ma part, je ne m'y reconnais pas et je me demande parfois si je ne joue pas à qui perd gagne et ne m'applique à piétiner mes espoirs d'autrefois pour que tout me soit rendu au centuple. En ce cas je serais Philoctète: magnifique et puant, cet infirme a donné jusqu'à son arc sans condition; mais, souterrainement, on peut être sûr qu'il attend sa récompense.

Laissons cela. Mamie dirait:

«Glissez, mortels, n'appuyez pas.»

Ce que j'aime en ma folie, c'est qu'elle m'a protégé, du premier jour, contre les séductions de «l'élite»: jamais je ne me suis cru l'heureux propriétaire d'un «talent»: ma seule affaire était de me sauver – rien dans les mains, rien dans les poches – par le travail et la foi. Du coup ma pure option ne m'élevait au-dessus de personne: sans équipement, sans outillage je me suis mis tout entier à l'œuvre pour me sauver tout entier. Si je range l'impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия