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Voilà mon commencement: je fuyais, des forces extérieures ont modelé ma fuite et m'ont fait. A travers une conception périmée de la culture, la religion transparaissait, qui servit de maquette: enfantine, rien n'est plus proche d'un enfant. On m'enseignait l'Histoire sainte, l'Évangile, le catéchisme sans me donner les moyens de croire: le résultat fut un désordre qui devint mon ordre particulier. Il y eut des plissements, un déplacement considérable; prélevé sur le catholicisme, le sacré se déposa dans les Belles-Lettres et l'homme de plume apparut, ersatz du chrétien que je ne pouvais être: sa seule affaire était le salut, son séjour ici-bas n'avait d'autre but que de lui faire mériter la béatitude posthume par des épreuves dignement supportées. Le trépas se réduisit à un rite de passage et l'immortalité terrestre s'offrit comme substitut de la vie éternelle. Pour m'assurer que l'espèce humaine me perpétuerait on convint dans ma tête qu'elle ne finirait pas. M'éteindre en elle, c'était naître et devenir infini mais si l'on émettait devant moi l'hypothèse qu'un cataclysme pût un jour détruire la planète, fût-ce dans cinquante mille ans, je m'épouvantais; aujourd'hui encore, désenchanté, je ne peux penser sans crainte au refroidissement du soleil: que mes congénères m'oublient au lendemain de mon enterrement, peu m'importe; tant qu'ils vivront je les hanterai, insaisissable, innommé, présent en chacun comme sont en moi les milliards de trépassés que j'ignore et que je préserve de l'anéantissement; mais que l'humanité vienne à disparaître, elle tuera ses morts pour de bon.

Le mythe était fort simple et je le digérai sans peine. Protestant et catholique, ma double appartenance confessionnelle me retenait de croire aux Saints, à la Vierge et finalement à Dieu tant qu'on les appelait par leur nom. Mais une énorme puissance collective m'avait pénétré; établie dans mon cœur, elle guettait, c'était la Foi des autres; il suffit de débaptiser et de modifier en surface son objet ordinaire: elle le reconnut sous les déguisements qui me trompaient, se jeta sur lui, l'enserra dans ses griffes. Je pensais me donner à la Littérature quand, en vérité, j'entrais dans les ordres. En moi la certitude du croyant le plus humble devint l'orgueilleuse évidence de ma prédestination. Prédestiné, pourquoi pas? Tout chrétien n'est-il pas un élu? Je poussais, herbe folle, sur le terreau de la catholicité, mes racines en pompaient les sucs et j'en faisais ma sève. De là vint cet aveuglement lucide dont j'ai souffert trente années. Un matin, en 1917, à La Rochelle, j'attendais des camarades qui devaient m'accompagner au lycée; ils tardaient, bientôt je ne sus plus qu'inventer pour me distraire et je décidai de penser au Tout-Puissant. A l'instant il dégringola dans l'azur et disparut sans donner d'explication: il n'existe pas, me dis-je avec un étonnement de politesse et je crus l'affaire réglée. D'une certaine manière elle l'était puisque jamais, depuis, je n'ai eu la moindre tentation de le ressusciter. Mais l'Autre restait, l'Invisible, le Saint-Esprit, celui qui garantissait mon mandat et régentait ma vie par de grandes forces anonymes et sacrées. De celui-là, j'eus d'autant plus de peine à me délivrer qu'il s'était installé à l'arrière de ma tête dans les notions trafiquées dont j'usais pour me comprendre, me situer et me justifier.

Ecrire, ce fut longtemps demander à la Mort, à la Religion sous un masque d'arracher ma vie au hasard. Je fus d'Eglise. Militant, je voulus me sauver par les œuvres; mystique, je tentai de dévoiler le silence de l'être par un bruissement contrarié de mots et, surtout, je confondis les choses avec leurs noms: c'est croire. J'avais la berlue. Tant qu'elle dura, je me tins pour tiré d'affaire. Je réussis à trente ans ce beau coup: d'écrire dans La Nausée – bien sincèrement, on peut me croire – l'existence injustifiée, saumâtre de mes congénères et mettre la mienne hors de cause. J'étais Roquentin, je montrais en lui, sans complaisance, la trame de ma vie; en même temps j'étais moi, l'élu, annaliste des enfers, photomicroscope de verre et d'acier penché sur mes propres sirops protoplasmiques. Plus tard j'exposai gaîment que l'homme est impossible; impossible moi-même je ne différais des autres que par le seul mandat de manifester cette impossibilité qui, du coup, se transfigurait, devenait ma possibilité la plus intime, l'objet de ma mission, le tremplin de ma gloire. J'étais prisonnier de ces évidences mais je ne les voyais pas: je voyais le monde à travers elles. Truqué jusqu'à l'os et mystifié, j'écrivais joyeusement sur notre malheureuse condition. Dogmatique je doutais de tout sauf d'être l'élu du doute; je rétablissais d'une main ce que je détruisais de l'autre et je tenais l'inquiétude pour la garantie de ma sécurité; j'étais heureux.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия