François, qui tenait toujours l'appareil, entendait, venant de très loin, la voix qui représentait le salut… «Allô… Allô…» Miss Mary traversa le bureau, lui enleva des mains le combiné, qu'elle replaça sur sa fourche. Elle regardait François avec une sorte de stupeur, comme si, maintenant, elle découvrait en lui un personnage nouveau, qu'il fallait traiter en égal.
– Qui appeliez-vous? demanda-t-elle.
– La police.
Et, bluffant, pour essayer de reprendre l'avantage, il ajouta:
«Elle arrive.»
Il y avait, près de la fenêtre, un fauteuil d'osier. Miss Mary s'y assit lourdement. Elle était pâle. Un cerne mauve dessinait ses orbites.
– Comment êtes-vous venu ici? dit-elle.
– Dans le coffre de votre voiture.
– Vous me soupçonniez?
– Oui. Je vous ai vue, l'autre nuit, dans le jardin.
– La mallette?… Hier, c'est vous qui l'avez reprise?
– Oui.
– Où est-elle?
– Elle est cachée.
Machinalement, elle faisait tourner autour de son doigt sa bague de fiançailles. Elle paraissait si désemparée, si malheureuse, que François sentit qu'il n'avait plus rien à craindre. On ne tenterait rien contre lui, parce qu'il possédait cette mystérieuse mallette, à l'étrange contenu.
– François, murmura Miss Mary, je crois qu'il vaut mieux, pour vous comme pour moi, que vous rentriez à Paris.
– Mais…, vous n'êtes pas sa complice! s'écria-t-il, impétueusement.
– Je ne peux pas parler. Je n'en ai pas le droit.
– Pourquoi a-t-on enlevé M. Skinner, la veille de son opération?
– N'insistez pas.
L'ancienne Miss Mary reparaissait, après une courte défaillance, décidée, autoritaire. Elle se leva et se dirigea vers la porte.
– Venez!… Allez m'attendre dans la voiture.
– Mais… l'homme… là-haut?… Est-ce que ce n'est pas dangereux de…
La jeune femme répéta: «dangereux?», d'un air incrédule.
– Il va lui faire du mal.
– C'est vous, François, qui nous faites du mal. Je sais! Avec les meilleures intentions du monde. Venez vite!
Elle le saisit par le poignet et l'entraîna jusqu'au perron.
– Je reviens tout de suite.
François, complètement perdu, monta dans la Daimler. Il avait dû se tromper quelque part, dans ses hypothèses. Rien ne se passait comme prévu. Pourtant, quoi, les faits étaient là: d'abord l'agression dont avait été victime M. Skinner et le vol des documents, puis le vol des objets du salon, l'épisode nocturne de la valise, enfin l'enlèvement de l'ingénieur… Tout cela formait bien une action criminelle cohérente, dont l'animatrice était forcément Miss Mary, puisque, finalement, on la retrouvait dans cette maison isolée où le blessé avait été amené de force, pour être interrogé.
Mais alors, pourquoi l'homme roux n'était-il pas déjà intervenu? Pourquoi le laissait-on libre, lui, François? Et si Miss Mary n'était pas coupable, qu'est-ce qu'elle manigançait, avec le ravisseur de son fiancé? Qu'est-ce que M. Skinner était pour elle? C'était cela la question la plus importante.
Miss Mary n'en finissait pas. Peut-être aidait-elle son complice à emporter l'ingénieur par quelque issue, au fond du parc?… Mais non. C'était justement le genre de supposition qu'il fallait éviter. «Je me donne des explications rocambolesques, pensa François, pour comprendre des événements qui ne le sont certainement pas. C'est pourquoi je ne cesse de me tromper. J'abandonne!… Après tout, j'ai fait tout ce que je pouvais. Maintenant, il est grand temps de prendre congé.»
Miss Mary reparut sur le seuil. Elle dévala les marches du perron sans même refermer la porte, et, avec une souplesse de sportive, elle se mit au volant. Devant la grille, elle freina brutalement.
– Voulez-vous ouvrir, François?
Le masque de l'amabilité était tombé. Elle parlait sèchement et François faillit se rebiffer. S'il était un intrus, il n'y avait qu'à le reconduire tout de suite à l'aéroport. Il obéit, cependant, et reprit sa place sans dire un mot. Mais il était horriblement vexé. En quelques heures, il avait connu les sentiments les plus contradictoires: curiosité, peur, panique, doute, colère, et maintenant humiliation. Il en avait brusquement assez de Londres, des Skinner, de Morrisson. Il regarda sa montre: presque six heures.
– Je prendrai l'avion demain matin, murmura-t-il.
– Rien ne vous presse.
– Comment? Mais…
– Songez à Bob. Si vous partez trop vite, il voudra comprendre pourquoi. Et il ne faut pas qu'il sache…
– Vous avez peur?
– Oh! Pas pour moi. Mais pour lui. Le pauvre enfant n'a pas besoin de nouvelles épreuves. Aussi, je vous demande quelque chose… Promettez-moi de garder pour vous tout ce que vous avez découvert… Nous allons rentrer ensemble, comme si nous venions de faire des courses…
– Mais… M. Skinner?