– Et personne qu'a versé une larme pour Suzanne qu'est même pas enterrée! Et ça pleurniche pour des bêlantes! Vous êtes tous des enculés!
– On pleurniche pas, Buteil, dit Larquet en tendant le bras. Possible qu'on soit tous des enculés, surtout Albert, mais personne oublie Suzanne. Mais c'est cette putain de bête qui l’a tuée, et bon sang faut la trouver.
– Ouais, dit une voix.
– Ouais. Et si les gars de Guillos la trouvent avant, on aura l'air de minables.
– On la chopera d'abord. Les gars de Guillos sont ramollis depuis qu'ils ne font que de la lavande.
– Rêvez pas les gars, dit le postier, un type assez neurasthénique. On est aussi périmés que les gars de Guillos ou d'ailleurs. On n'a plus le flair, on ne sent plus les pistes. Cette bête, on ne la chopera que le jour où eile rappliquera ici même pour boire un petit coup au comptoir. Et encore, faudra attendre qu'elle soit bourrée pour l'avoir, et en s'y mettant à dix. D'ici là, elle aura bouffé tout le pays.
– Ben dis donc, t'es gai, toi.
– C'est complètement con, cette histoire de loup qui vient boire un coup.
– Faut demander un hélico, proposa une voix.
– Un hélico? Pour voir dans la montagne? T'es débile ou quoi?
– Paraît en plus qu'on a perdu Massait, dit une autre voix. Les gendarmes le cherchent au mont Vence.
– Ben ça, c'est pas ce que j'appelle une perte, dit Albert.
– Pauvre con, dit Larquet.
– Ça suffit, dit Lucie.
– Et qu'est-ce qui te dit que Massart n'a pas été pris par la bête? Avec cette manie de toujours sortir la nuit?
– Ouais, on va le retrouver déchiqueté, le Massart. C'est moi qui vous le dis.
Lawrence attrapa Camille par le poignet.
– On s'en va, lui dit-il. Ils me rendent dingue.
Une fois sur la place, Lawrence reprit son souffle comme s'il était sorti d'un nuage toxique.
– Un ramassis de tarés, gronda-t-il.
– Ce n'est pas un ramassis, dit Camille. Ce sont des hommes qui ont peur, qui ont du chagrin, ou qui sont déjà bourrés. Entendu, Albert est taré.
Ils remontèrent les rues brûlantes vers la maison.
– Qu'est-ce que tu en dis? demanda Camille.
– Quoi? Qu'ils étaient bourrés?
– Non. Le village où a eu lieu l'attaque. Guillos. C'est le lieu pointé sur la carte.
Lawrence s'arrêta, dévisagea Camille.
– Comment Massart aurait-il pu savoir? murmura-t-elle. Comment aurait-il pu savoir,
On entendit des séries d'aboiements au loin. Lawrence se raidit.
– Les gendarmes qui le cherchent, dit-il en ricanant. Peuvent toujours, le trouveront pas. Était cette nuit à Guillos, sera demain à La Castille. C'est lui qui tue. Lui qui tue, Camille, avec Crassus.
Camille fit un mouvement pour parler, et renonça. Elle ne voyait plus quoi dire pour soutenir Massart
– Avec Crassus, reprit Lawrence. En cavale. Égorgera brebis, femmes, enfants.
– Mais pourquoi, bon Dieu? murmura-t-elle.
– Parce qu'il n'a pas de poils.
Camille lui jeta un regard incrédule.
– Et ça l'a rendu fou, compléta Lawrence. On va chez les flics.
– Attends, dit Camille en le retenant par le bras.
– Quoi? Tu veux qu'il attaque d'autres Suzannes?
– Attendons jusqu'à demain. Voir si on le retrouve. Je t'en prie.
Lawrence hocha la tête et remonta la rue en silence.
– Augustus n'a rien bouffé depuis vendredi, dit-il. Je monte au Massif. Serai là demain midi.
Le lendemain à midi, Massart n'avait pas été retrouvé. Aux informations de treize heures, on annonça deux brebis égorgées à La Castille. Le loup se déplaçait vers le nord.
A Paris, Jean-Baptiste Adamsberg nota l'information. Il s'était procuré une carte d'état-major du Mercantour, qu'il avait fourrée dans le dernier tiroir de son bureau, un tiroir dévolu aux questions confuses et aux manœuvres aléatoires. II souligna en rouge le nom de La Castille. Hier, il avait souligné Guillos. Il contempla longuement la carte, la joue calée sur sa main, méditatif.