– Avec des poils, dit le Veilleux.
– C'est ça, dit Soliman. A présent que l'homme est mort, le loup peut tuer à sa guise. Je ne le vois pas du tout se chercher un bon boulot à Manchester.
– Alors pourquoi traverser la Manche? Pour quoi faire un itinéraire si c'est pour aller nulle part?
Soliman appuya sa tête sur sa main, réfléchit, un œil sur la carte.
– C'est une ligne de fuite. Il avance, il ne peut pas rester sur place. Il passera en Angleterre, il cherchera peut-être un coup de main là-bas. Mais là-bas aussi, il continuera d'avancer, tout autour de la terre. Tu sais ce que signifie “loup-garou”?
– Lawrence dit que je ne suis pas fortiche sur le sujet.
– C'est un loup qui vagabonde. Massart ne se cachera pas dans un trou, il bougera sans cesse, une nuit ici, une nuit là. Il connaît toutes ces petites routes sur le bout des griffes. Il sait où se planquer.
– Mais Massart n'est pas un loup-garou, dit Camille.
Il y eut un court silence dans la cabine du camion, Camille sentait que le Veilleux faisait un effort pour ne pas répondre.
– II se croit loup, au moins, dit Soliman. C'est déjà assez.
– Sans doute.
– Le trappeur a montré cette carte aux flics?
– Evidemment. Ils
– Et pour les croix?
– Simple question de boulot, d'après eux. Ça se tient, si tu es convaincu que Suzanne a été attaquée par un loup, juste par un loup. Et les flics en sont convaincus.
– Des imbéciles, dit le Veilleux d'une voix ferme. Un loup n'attaque pas l'homme.
Il y eut un nouveau silence. L'image de Suzanne égorgée repassa devant les yeux de Camille.
– Non, murmura Camille.
– On lui colle au cul, dit le Veilleux.
Camille mit le contact et dégagea le camion du refuge. Elle roula pendant plusieurs minutes en silence, les bras tendus sur le volant.
– J'ai calculé, dit Soliman. Massart peut faire quinze à vingt kilomètres par nuit sans fatiguer les bêtes. Il doit être à présent tout au nord du Mercantour, disons à la hauteur du col de la Bonette. Cette nuit, il va se laisser descendre sur Jausiers, vingt-cinq kilomètres. C'est là qu'on l'attendra à l'aube, si on ne le croise pas avant dans la montagne.
– Tu veux qu'on coure toute la nuit dans le Mercantour?
– Je propose simplement de jeter l'ancre au col. On se relaiera cette nuit pour surveiller la route, mais je n'en attends rien. Il connaît les passes et les sentiers. A cinq heures et demie du matin, on descend sur Loubas et c'est là qu'on le saisit.
– Qu'entends-tu par “saisir”? demanda Camille. Tu as déjà essayé de saisir un type comme Massart, bordé d'un dogue et d'un loup?
– On va se préparer. On repérera sa voiture et on le suivra jusqu'à ce qu'il massacre un troupeau. Flagrant délit. Là, on le serrera.
– Avec quoi, Sol?
– On avisera. C'est embêtant que tu ne connaisses pas Jausiers.
– Pourquoi cela?
– Parce que cela veut dire que tu ne connais pas la route. Ça va grimper en lacets à flanc de montagne jusqu'à presque trois mille mètres. Étroit comme mon bras, avec un ravin d'un côté et un muret de protection défoncé tous les deux mètres. Ce qu'on vient de faire, c'est de la rigolade à côté.
– Bon, dit Camille, pensive. Je ne voyais pas le Mercantour comme ça.
– Tu le voyais comment?
– Je voyais quelque chose de chaud et de modérément montagneux. Avec des oliviers. Un truc comme ça.
– Eh bien c'est froid et exagérément montagneux. Il y a des mélèzes, et quand c'est trop haut pour subsister, il n'y a plus rien du tout, que nous trois, avec le camion.
– C'est gai, dit Camille.
– Tu ne sais pas que les oliviers s'arrêtent à six cents mètres?
– A six cents mètres de quoi?
– D'altitude, bon sang. Les oliviers s'arrêtent à six cents mètres, tout le monde sait cela.
– Dans les régions d'où je viens, il n'y a pas d'oliviers.
– Ouais. Vous bouffez quoi, alors?
– Des betteraves. C'est courageux la
– Si tu plantes ta betterave en haut du Mercantour, eh bien, elle crèvera.
– Bon. Ce n'est pas ce que je voulais faire, de toute façon. Combien de kilomètres pour atteindre ce foutu col?
– Une cinquantaine. Les vingt derniers sont les plus terribles. Tu crois que tu vas y arriver?
– Aucune idée.
– T'as les bras qui tirent?
– Oui, j'ai les bras qui tirent.
– Tu crois que tu peux t'en sortir?
– Fous-lui la paix, Sol, gronda le Veilleux. Laisse-la tranquille.
XVIII
Il était sept heures du soir et la chaleur baissait lentement. Agrippée au volant du 508, Camille ne lâchait plus la route des yeux. On pouvait encore y croiser un véhicule sans trop de peine mais les tournants incessants et difficiles lui mettaient les bras en bouillie. C'est qu'il ne s'agissait pas d'y aller à l’à-peu-près.