– C'est le même cheveu, mon vieux, dit Hermel. Même épaisseur, même teinte, même profil, même chaîne de séquences. Du certain. Si ce n'est pas lui, c'est son frère. Pour les ongles, faudra encore attendre, on vient seulement d'en dégoter autour du lit dans sa baraque. Cet abruti de Puygiron n'avait fait chercher que dans le cabinet de toilette. Alors qu'un gars peut très bien se bouffer les ongles et les cracher par terre pendant qu'il est au lit. Hein? J’ai envoyé un de mes hommes ce matin, en lui demandant de ratisser la chambre et de nous cueillir les ongles des dix doigts, pas un de moins. Si vous entendez parler d'un regain dans la guerre des polices, vous saurez pourquoi. En tous les cas, c'est votre Massart, à coup presque sûr. Vous savez comment ils sont dans les labos. Pas moyen de leur arracher un oui massif. Attendez, ce n'est pas fini, mon vieux. Sous les ongles qu'on a ramassés dans la rainure de la fenêtre à l'hôtel, il y avait bien des particules de sang. C'est le sang de Fernand Deguy, pas de doute là-dessus. Donc le type de l'hôtel a bien lancé sa bête sur Deguy. À ce propos, on a fait la recherche que vous aviez demandée, mais on n'a pas récupéré un seul poil de loup sur le corps. Il y avait bien quelques poils de chien mais ça vient de son cocker. On travaille sur ce Deguy, on rafle tout ce qu'on peut. Je vous préviens, vous n'allez pas vous amuser. Guide de montagne, guide de montagne, mon vieux. Ça s'arrête là. Il a vécu à Grenoble toute sa vie et il a pris sa retraite à Bourg, parce que Grenoble n'est plus qu'une cuvette remplie de gaz d'échappement jusqu'au ras bord. Pas d'écart, pas de drame, pas de maîtresse connue à ce jour. J'ai eu Montvailland, à Villard-de-Lans. Il a avancé de son côté sur le dossier Jacques-Jean Sernot. Pas d'écart, pas de drame, pas de maîtresse connue à ce jour. Sernot a enseigné les mathématiques à Grenoble pendant trente-deux ans. Grenoble, c'est leur seul point commun, mais c'est grand, pour un point. Ah si, c'étaient tous les deux des sportifs. Il y en a beaucoup dans cette ville. La montagne est pleine de gens bien décidés à marcher pendant des heures dans les cailloux. Vous connaissez ça, mon vieux. Vous venez des Pyrénées, à ce qu'on m'a dit. Aucun indice que les deux hommes se soient jamais croisés. Et encore moins qu'ils aient connu Suzanne Rosselin. Je poursuis là-dessus quand même et je vous faxe le tout où ça vous arrange.
Adamsberg raccrocha et rejoignit le camion. Soliman, calmé, avait sorti sa bassine bleue, Camille composait dans la cabine, portière ouverte, le Veilleux sifflotait, assis près des marches. Il extirpait des puces du ventre de son chien, qu'il sectionnait d'un coup sec entre le pouce et l'ongle de l'index. La vie se ritualisait autour de la bétaillère, les territoires s'organisaient. Camille occupait l'avant-poste, Soliman le flanc et le Veilleux gardait l'arrière.
Adamsberg alla jusqu'à l'avant.
– Le cheveu appartient à Massart, dit-il à Camille.
Soliman, le Veilleux et Camille entouraient le commissaire, silencieux, graves, presque hébétés. Ils avaient toujours su qu'il s'agissait de Massart, mais cette confirmation jetait une sorte d'effroi. C'était une différence du même ordre que l'idée d'un couteau et la vue d'un couteau. Un surcroît de précision et de réalisme, une certitude tranchante.
– On va allumer un cierge dans le camion, dit Adamsberg, rompant le silence. Le Veilleux veillera à ce que la flamme ne s'éteigne pas.
– Qu'est-ce qui te prend? dit Camille. Tu crois que ça va aider?
– Ça va aider à savoir en combien de temps ça brûle.
Adamsberg alla fouiller dans son coffre et en revint avec un long cierge qu'il scella sur une soucoupe. Il le porta à l’intérieur du camion et l'alluma.
– Voilà, dit-il en se reculant d'un air satisfait.
– Pourquoi on fait ça? demanda Soliman.
– Parce qu'on n'a rien de mieux à faire. Toi et moi, on va remonter tranquillement la départementale en visitant toutes les églises. Si Massart a eu une crise d'expiation après le meurtre de Deguy, on a une chance de repérer son passage. Il faut vérifier s'il est toujours sur cette route, ou bien s'il en a changé.
– Vu, dit Soliman.
– Camille, si on trouve sa trace, tu nous rejoindras avec le camion.
– Ce n'est pas possible. Je n'ai pas prévu de rouler ce soir.
– A cause du cierge? dit Soliman. Le Veilleux le tiendra sur ses genoux.
– Non, dit Camille. Je reste à Bourg. Lawrence vient ce soir.
Il y eut un court silence.
– Ah bien, dit Adamsberg. Laurence vient ce soir. Bien.
– Le trappeur peut nous rallier plus au nord, dit Soliman. Qu'est-ce que ça peut lui faire?
Camille secoua la tête.
– Il est sur la route, je ne peux plus le joindre. Je lui ai donné rendez-vous à Bourg, je reste à Bourg.
Adamsberg hocha la tête.
– Bon, dit-il. Reste à Bourg. C'est normal. C'est bien.