Où sommes-nous ?
Je ne sais toujours pas ce que je dois… ce que je viens y faire.
Je n’ai pas de vêtements, pas de vivres ni d’eau…
Alma s’accroupit sur le bord du bassin et contempla la forme grise incertaine du Qval. Elle aurait été incapable de fournir la moindre estimation de la distance parcourue dans les eaux souterraines du nouveau monde. Elle se souvenait seulement qu’elle avait traversé une quantité invraisemblable de nappes brûlantes, tièdes ou glacées. Elle avait eu la sensation d’évoluer dans les veines d’un immense corps, d’être une part à la fois minuscule et essentielle d’un organisme aux dimensions de la planète. Elle avait croisé des créatures silencieuses et paisibles au fond de failles si noires et profondes qu’elles ressemblaient à des nuits liquéfiées ou à des puits d’encre de nagrale. Elle ne les avait pas vues, elle avait ressenti leur présence, leur densité, leur vigilance, l’importance de leur rôle, obscur mais indispensable, dans les mécanismes profonds du nouveau monde. Elle n’avait jamais réellement su si elle avait voyagé à l’intérieur du Qval ou seulement en sa compagnie. Parfois il lui avait semblé être recouverte tout entière d’une enveloppe protectrice, parfois flotter dans une sorte de tunnel ondulant et foré par un mouvement permanent. Elle n’avait en tout cas jamais souffert des écarts de température, pourtant énormes par endroits, ni du manque d’oxygène malgré les immersions qui pouvaient se prolonger plusieurs heures.
Elle avait émergé à plusieurs reprises dans des grottes sombres ou éclairées par des solarines géantes.
Je ne me sens pas fatiguée.
Alma avait ressenti une infime pointe de tristesse dans la pensée-parole de Qval Djema.
Qu’est-ce qui se passe si on devient fou ?
Tu… vous connaissez quelqu’un à qui c’est arrivé ?
Vous… tu n’as pas répondu à ma question.
Alma n’avait pas insisté, persuadée que Qval Djema s’en tiendrait à cette réponse.
Une lumière pourpre se déversait par une large ouverture, inondait la grotte tapissée d’une roche opaque et située tout près de la surface, ce qui confirmait la sensation vertigineuse de remontée qu’Alma avait éprouvée durant la dernière partie du trajet. Frissonnante, les bras croisés sur la poitrine, elle n’avait plus très envie de quitter Qval Djema ni la chaleur bienfaisante des sources bouillantes.
Alma sourit. Les incursions du Qval dans ses pensées l’avaient effrayée lors de leur première rencontre, elles allaient désormais lui manquer.
Mais je t’aime, Djema.
J’ai perçu de la tristesse quand tu as parlé de cette personne atteinte par la folie des eaux profondes…
Le visage de Djema apparut à l’intérieur du Qval. Il reflétait en cet instant une joie si pure, si intense qu’Alma en fut bouleversée, qu’elle plongea spontanément la main dans l’eau chaude pour l’effleurer. À sa grande surprise, elle qui s’était toujours imaginé le Qval comme une entité immatérielle, intangible, elle rencontra une surface dense, d’une douceur infinie, qui s’offrait sans réticence à la caresse de ses doigts et de sa paume.
Elle eut la certitude que ce contact prolongé ne lui procurait pas seulement du bien-être à elle-même, mais également à Djema.