La brise peinait déjà à remuer un air qui, dans quelques instants, serait plus brûlant que l’intérieur du four.
Lobzal oublia sa propre douleur pour tourner la tête vers sa mère. Les bras et les jambes écartés, vêtue d’une robe tachée, déchirée, elle donnait de temps à autre des coups de boutoir pour se libérer des attaches de corde tressée qui, fixées sur des piquets profondément enfoncés dans la terre sèche, lui plaquaient les poignets et les chevilles au sol.
À la première sonnerie, le groupe d’hommes chargé d’exécuter la sentence avait déserté le sommet de la colline de l’Ellab. Drapés dans de longues robes brunes, le visage enfoui sous un masque d’écorce qui symbolisait les chanes, les démons grinçants de l’au-delà, ils s’étaient éloignés en silence, de la même façon qu’ils avaient effectué leurs gestes successifs sans prononcer le moindre mot, sans trahir le son de leur voix. L’anonymat était la règle absolue des protecteurs des sentiers.
C’était la première fois que Lobzal mettait les pieds sur la colline de l’Ellab, là où, selon la légende, le grand Ab avait réveillé son ami Lœllo de chez les morts afin de lui montrer le nouveau monde. Étant donné son jeune âge, les exécuteurs n’avaient pas jugé nécessaire de le plaquer au sol comme sa mère. Ils l’avaient seulement attaché par le cou et les mains au tronc du seul arbuste qui avait daigné pousser sur le sommet arrondi et tapissé d’une mousse sombre, comme noircie par les passages répétés des umbres. Il évita de regarder les cadavres qui gisaient autour d’eux, des anciens le plus souvent, morts de vieillesse les jours précédents, une jeune fille retrouvée noyée dans le lit de la rivière Abondance, un garçon de trois ou quatre ans dont le ventre distendu indiquait qu’il avait succombé à la fièvre des tempêtes de pollen.
En contrebas, la plaine guettait l’apparition de Jael pour amorcer l’une de ses métamorphoses quotidiennes qui faisaient sa beauté et son mystère. Elle passerait en quelques minutes d’un brun terne à un jaune éclatant, d’une immobilité totale à un friselis persistant traversé d’ondulations aux couleurs changeantes. Même lors de la saison sèche où la chaleur écrasante interdisait aux vents de souffler, les herbes sauvages continuaient d’être agitées par ces vagues à l’écume bleue, verte ou mauve qui soulevaient des nuées de bulles irisées, se brisaient au pied des collines et se retiraient en abandonnant des effluves capiteux, enivrants.
Lobzal distinguait dans le lointain les carrés minuscules et ocre des toits des domaines enfouis sous les ramures rouille des bosquets et distants les uns des autres d’un quart de journée de marche, les damiers vert et jaune des jardins, le ruban paresseux et bleuté de la rivière Abondance, le réseau des pistes poussiéreuses qui coupaient par les champs immaculés de manne et se ramifiaient plus loin comme des veines d’un grand corps. Les lueurs de l’aube paraient le ciel de stries argentines et fermaient l’œil terne de Maran, le dernier satellite nocturne du nouveau monde. À l’est, les neiges éternelles de l’Agauer, la chaîne montagneuse, n’étaient encore que des songes blêmes suspendus entre ciel et terre.
Le son grave de la corne de yonk retentit à nouveau et plana un long moment au-dessus de l’Ellab. Lobzal aperçut, sur l’une des pistes qui rayonnaient à partir de la colline, les silhouettes des protecteurs des sentiers qui couraient vers le mathelle le plus proche afin de s’y réfugier avant le passage des umbres. Fou de terreur, il essaya encore une fois de se dégager de ses liens, puis, quand il eut constaté que ses mouvements désespérés ne réussissaient qu’à raviver la morsure des cordelettes à son cou et ses poignets, il cessa de se débattre et, les larmes aux yeux, scruta l’horizon.
On ne savait pratiquement rien des umbres, ces monstres volants qui surgissaient tous les quatre ou cinq jours au-dessus de la plaine, seuls ou en bande, et emportaient les individus isolés, imprudents, sans distinction d’âge ou de sexe. Les premières générations des descendants de l’