Face
Les coups de fouet continuaient sans cesse, mais à un moment donné, Pescennius n'a pas réussi à garder son équilibre et la pointe aiguisée du fouet en bronze blessa profondément la gorge du pauvre Israélite faisant jaillir le sang à flots. Ses enfants ont compris la gravité de la situation et se sont regardés épouvantés. Par des prières d'une ferveur sublimée, Abigail s'adressait à Dieu, à ce Dieu tendre et aimant que sa mère lui avait appris à adorer. Philocrate conclut sa tâche. Le front de Jeziel se redressait difficilement exhibant une pâteuse sueur teintée de sang. Ses yeux ont fixé sa très chère sœur mais laissaient transparaître une profonde faiblesse qui annihilait ses dernières résistances. Incapable de définir ses propres pensées, Abigail partageait son attention angoissée entre son père et son frère, mais en quelques instants, au flux incessant du sang qui coulait abondamment, Jochedeb laissa pendre pour toujours sa tête mêlée de cheveux blancs. Le sang a inondé ses vêtements et couvrait ses pieds. Sous le regard cruel du légat, personne n'osa dire un mot. Seul le fouet fendant l'atmosphère chaude de la salle brisait le silence d'un sifflement singulier. Mais ils remarquèrent que de la poitrine de la victime s'échappaient encore quelques sons confus qui laissaient entendre ces paroles d'affection :
Mes enfants, mes chers enfants !...
Alors que la jeune fille ne pouvait peut-être pas comprendre ce qui se passait à ce moment décisif, Jeziel a tout saisi et dans un effort désespéré malgré sa terrible souffrance en cette heure, il a crié à sa sœur :
Abigail, papa expire, aie du courage, reprends confiance... Je ne peux pas t'accompagner dans la prière... mais fais-le pour nous tous... dis la prière des affligés...
Démontrant une foi enviable en de si douloureuses circonstances, la jeune fille agenouillée a fixé longuement son vieux père dont la poitrine ne respirait plus maintenant ; puis elle a levé les yeux au ciel et se mit à chanter d'une voix tremblante, bien qu'harmonieuse et cristalline :
Sa complainte remplissait l'atmosphère d'une indicible sonorité. Elle ressemblait davantage au cri de douleur d'un rossignol qui chanterait, blessé, à l'aube du printemps. Sa foi en le Tout-Puissant était si grande et si sincère que son attitude tout entière était celle d'une fille aimante et obéissante qui aurait parlé à son père invisible et silencieux. Les sanglots obstruaient sa voix tremblante qui répétait sans peur la prière apprise au foyer avec la plus belle expression de confiance en Dieu.
Une pénible émotion s'est emparée de tout le monde. Que faire d'une enfant qui chantait le supplice de ses êtres aimés et la cruauté de ses bourreaux ? Les soldats et les gardes présents dissimulaient mal leur émoi. Le quêteur lui-même restait figé, comme pris d'un malaise embarrassant. Étrangère à la perversité des créatures, Abigail faisait appel à l'omnipotent. Elle ne savait pas que son chant était inutile pour sauver les siens, mais par son innocence il allait éveiller la commisération du bourreau, gagnant ainsi sa liberté.
Reprenant courage car il perçut que la scène avait touché la sensibilité générale, Licinius s'est efforcé de ne pas perdre sa fermeté et a ordonné à l'un des vieux serviteurs sur un ton impérieux :
Justin, mets cette femme à la rue et laisse-la partir, mais qu'elle ne chante plus, pas même une note !
Devant cet ordre retentissant, comme si elle recevait un coup étrange, brusquement muette, Abigail n'a pas fini sa prière.
D'abord, elle a jeté au cadavre sanglant de son père un regard inoubliable, puis elle a échangé avec son frère blessé et prisonnier les plus profondes démonstrations d'affection exprimées dans ses yeux douloureux et bouleversés. Et elle s'est sentie touchée par la main calleuse d'un vieux soldat qui lui dit d'une voix presque sèche :
Accompagne-moi !