Analysant la réponse concise, révélatrice de raisonnements logiques, inattaquables, le docteur de Tarse grinçait presque des dents. Un rapide coup d'œil à l'assemblée lui fit comprendre que beaucoup avaient de la sympathie et de l'admiration pour l'antagoniste. Il en était déconcerté au fond. Comment retrouver son calme vu son tempérament impulsif qui le poussait à une extrême émotivité ? Réfléchissant à la dernière assertion d'Etienne, il avait des difficultés à coordonner un argument décisif.
Sans pouvoir révéler sa propre déception, incapable de trouver la bonne réponse, il a considéré l'urgence d'une sortie adéquate et s'est adressé au grand sacrificateur en ces termes :
L'accusé certifie par ses paroles la dénonciation dont il a fait l'objet. Il vient d'admettre devant le public qu'il est blasphémateur, calomniateur et sorcier. Néanmoins par sa condition de naissance, il a droit à la dernière défense indépendamment de mes interprétations de juge. Je propose donc que l'autorité compétente lui accorde ce recours.
Un grand nombre de prêtres et de personnalités éminentes se regardèrent presque avec étonnement comme s'ils se réjouissaient de la première défaite du fier docteur de la Loi dont la parole toujours vibrante avait réussi à vaincre tous ses adversaires, et fixaient son visage rouge de colère qui dénonçait la tempête qui hurlait dans son coeur.
Une fois acceptée la proposition formulée par le juge de la cause, Etienne put s'utiliser d'un droit qui lui était conféré par sa naissance.
Se levant noblement, il a dévisagé l'audience attentive qui l'observait de toute part. Il a deviné que la majorité voyait en lui un dangereux ennemi des traditions ethniques, telle était leur expression d'hostilité ; mais il a remarqué aussi que quelques Israélites le regardaient avec sympathie et compréhension. Et se valant de ce soutien, il ressentit en lui un certain courage à exposer avec une plus grande sérénité les enseignements sacrés de l'Évangile. Instinctivement, il s'est souvenu de la promesse de Jésus à ses continuateurs, qui disait qu'il serait présent à l'instant du témoignage par la parole. Il ne devait pas trembler devant les provocations inconscientes du monde.
Plus que jamais, il eut la conviction que le Maître l'assisterait dans l'exposition de sa doctrine d'amour.
Alors qu'une grave expectative dominait la salle, il se mit à parler d'une manière impressionnante :
Israélites ! Quelle que soit la force de nos divergences religieuses, nous ne pourrions modifier nos liens de fraternité en Dieu - le suprême concesseur de toutes les grâces. C'est à ce Père, généreux et juste, que j'élève ma prière pour notre compréhension fidèle des vérités saintes. Autrefois, nos ancêtres ont entendu les exhortations grandioses et profondes des émissaires du ciel. Pour organiser un avenir de paix solide à leurs descendants, nos grands- pères ont souffert les misères et les pénuries de la captivité. Leur pain était mouillé des larmes de l'amertume, la soif les affligeait. Ils perdirent tout espoir d'indépendance, des persécutions sans nom détruisirent leur foyer, augmentant leurs souffrances dans les luttes quotidiennes. Les saints hommes d'Israël ont marché vers leurs martyres honorables comme vers une glorieuse couronne de triomphe. La parole de l'Éternel les a nourris à travers toutes les vicissitudes. Leur expérience est un patrimoine puissant et sacré. D'elle, nous tenons la Loi et les Écrits des prophètes. Malgré cela, nous ne pouvons pas tromper notre soif. Notre conception de la justice est le fruit d'un labeur millénaire où nous employons les plus grandes énergies, mais nous sentons intuitivement qu'il existe quelque chose de plus élevé au-delà. Nous avons la prison pour ceux qui se détournent du chemin, la vallée des immondes pour ceux qui tombent malades sans la protection de leur famille, la lapidation sur la place publique pour les femmes qui succombent, l'esclavage pour les endettés, les trente-neuf coups de fouet pour les plus malheureux. Cela suffit-il ? Les leçons du passé ne sont-elles pas pleines du mot « miséricorde » ? Quelque chose parle à notre conscience d'une vie plus grande qui inspire des sentiments plus élevés et plus beaux. Grand fut le travail au long cours multiséculaire, mais le Dieu juste a répondu aux appels des angoissés du cœur en envoyant son Fils bien-aimé - le Christ Jésus !...
L'assemblée écoutait grandement surprise. Cependant quand l'orateur a souligné plus fortement la référence faite au Messie de Nazareth, les pharisiens présents s'élevèrent ensemble avec le jeune de Tarse et éclatèrent en protestations criant hallucinés :
Anathème ! Anathème !... Punition au transfuge !
Etienne reçut avec sérénité la violente réprobation et dès que l'ordre fut rétabli, il a continué avec fermeté :