Etienne comparaissait comme un homme appelé à se défendre des accusations qui lui étaient imputées, et non comme un prisonnier ordinaire obligé de rendre des comptes à la justice. Analysant sa situation, il avait donc supplié les apôtres galiléens de ne pas l'accompagner, considérant non seulement qu'ils devaient rester auprès des malades, mais aussi la possibilité de sérieux accrochages en cas de comparution des adeptes du « Chemin », vu la fermeté d'esprit avec laquelle il chercherait à sauvegarder la pureté et la liberté de l'Évangile du Christ. En outre, les recours dont ils pouvaient disposer étaient très modestes et il ne serait pas juste de les confronter à la puissance suprême des prêtres qui avaient trouvé le moyen de crucifier le Messie lui-même. Pour le « Chemin », il n'y avait que les malheureux infirmes ; les pures convictions des plus humbles ; la gratitude des plus malheureux - seule force puissante par son contenu de vertu divine à soutenir sa cause devant les autorités dominantes du monde. Réfléchissant à cela, il éprouvait la joie d'assumer seul la responsabilité de son attitude, sans compromettre ses compagnons, comme l'avait fait un jour Jésus dans son apostolat sublime. Si nécessaire, il ne dédaignerait pas la possibilité du dernier sacrifice, témoignage sacré de l'amour à son cœur auguste et miséricordieux. La souffrance, pour Lui, lui serait douce. Ses arguments vaincraient les ardeurs des compagnons les plus véhéments. Ainsi, sans le moindre soutien, il comparut au Sanhédrin, très impressionné en voyant sa grandeur et sa somptuosité. Habitué aux tableaux tristes et pauvres des faubourgs où se réfugiaient les malheureux de toute espèce, il était fasciné par la richesse du Temple, par l'aspect magnifique de la tour des Romains, par les bâtiments résidentiels de style grec, par la façade des synagogues qui s'éparpillaient en grand nombre de toute part.
Comprenant l'importance de cette session où accouraient les éléments de l'élite pour manifester leur intérêt marqué pour Saûl qui, à ce moment-là, était l'expression de la jeunesse la plus vibrante du judaïsme, le Sanhédrin avait demandé le soutien de l'autorité romaine pour le maintien absolu de l'ordre. La cour provinciale n'avait pas lésiné sur les mesures prises. Les patriciens eux-mêmes résidant à Jérusalem comparurent nombreux au grand événement du jour, sachant qu'il s'agissait du premier procès sur les idées enseignées par le prophète nazaréen depuis sa crucifixion qui avait laissé tant de perplexité et tant de doutes dans l'esprit du public.
Lorsque la grande enceinte régurgitait de monde de la haute société, conduit par un représentant du Temple, Etienne s'est assis à la place préalablement désignée et resta là sous la garde de soldats qui le fixaient ironiquement.
La session commença avec toutes les formalités réglementaires. Pour initier les travaux, le grand sacrificateur annonça le choix de Saûl, selon son propre désir d'interpeller le dénoncé et d'enquêter sur l'extension de la faute dans l'avilissement des principes sacrés de la race. En recevant cette invitation pour être le juge de l'acte, le jeune tarsien a esquissé un sourire triomphant. D'un geste impérieux, il a ordonné que l'humble prédicateur du « Chemin » s'approche du centre de la salle somptueuse où se dirigea Etienne, calmement accompagné par deux gardes aux sourcils froncés.
Le jeune homme de Corinthe fixa le tableau qui l'entourait, remarquant le contraste de l'une et de l'autre assemblées présentes, tout en se rappelant la dernière réunion dans la pauvre église où il fut amené à connaître l'antagoniste si capricieux. N'étaient-ce pas eux les « moutons égarés » de la maison d'Israël dont parlait Jésus dans ses éloquents enseignements ? Même si le judaïsme n'avait pas accepté la mission de l'Évangile, comment conciliaient-ils les commentaires sacrés des prophètes et leur exemple élevé de vertu, avec l'avarice et l'immoralité ? Moïse lui-même était un esclave et par dévouement à son peuple, il avait souffert d'innombrables difficultés à chaque jour de son existence consacrée au Tout-Puissant. Job avait supporté des misères sans-nom et avait donné le témoignage de sa foi par les souffrances les plus arrières. Jérémie avait pleuré incompris. Amos avait éprouvé le fiel de l'ingratitude. Comment les Israélites pouvaient-ils harmoniser l'égoïsme avec la sagesse aimante des Psaumes de David ? Il était étrange qu'étant si fervents dans la Loi, ils se livrent d'une manière aussi absolue aux intérêts mesquins, quand Jérusalem était pleine de familles, sœurs par leur race, dans un complet abandon. Comme assistant d'une modeste communauté, il connaissait de près les besoins et les souffrances du peuple. À ces onctions, il sentait que le Maître de Nazareth grandissait davantage maintenant à ses yeux, distribuant parmi les angoissés, les espoirs les plus purs et les plus réconfortantes vérités spirituelles.