Les mains d'Arnaud s'ouvrirent machinalement, lâchant Catherine qui glissa sur la terre humide. Se retournant, il regarda le groupe qui venait d'apparaître à la porte de la grange : Bérenger et un garçon roux, ficelés et trempés comme des soupes, que quatre de ses hommes maintenaient entre eux.
C'était le page qui avait parlé, poussé par une indignation plus forte que la terreur que, toujours, son seigneur lui avait inspirée.
Arnaud croisa les bras et considéra le groupe avec un étonnement qu'il ne cherchait pas à dissimuler.
— Le petit Roquemaurel ! Mais qu'est-ce que tu fais là, morveux ?
L'adolescent redressa la tête et, fièrement, déclara :
— Quand vous êtes parti, seigneur comte, j'étais déjà le page de Dame Catherine. Je le suis toujours et je l'ai suivie partout où elle a été, pour l'aider et la servir de mon mieux ! Mais vous, messire... êtes-vous toujours celui qu'elle aimait tant ?
Sous le regard clair de l'enfant, Arnaud rougit et détourna les yeux.
Ce gamin avait le pouvoir de le mettre mal à l'aise et le reproche, la déception, qu'il pouvait lire aisément sur cette jeune figure fatiguée le gênaient.
— Mêle-toi de ce qui te regarde ! grogna-t-il. Les affaires des grandes personnes ne sont pas faites pour les moutards. Et celui-là, ajouta-t-il en désignant Gauthier, muet jusqu'à présent, qui est-il ?
L'étudiant se redressa et, un pli dédaigneux à la bouche, il lança, défiant le capitaine du regard :
— Gauthier de Chazay, écuyer au service de Madame la comtesse de Montsalvy, que Dieu veuille garder de tout mal et délivrer des lâches qui osent la maltraiter !
La main d'Arnaud s'abattit sur la joue du jeune homme qui vacilla sous le choc.
— Tiens ta langue, si tu veux vivre, mon garçon. Si tu es à son service, tu es d'abord au mien. Je suis le comte de Montsalvy et j'ai le droit de battre ma femme.
— Vous... son époux ?
Incrédule, il se tournait vers Bérenger qui maintenant pleurait de chagrin, de rage et d'impuissance en constatant que Catherine ne se relevait pas. Le page eut un sanglot désespéré.
C'est vrai... C'est malheureusement vrai. Et maintenant... il l'a tuée !
Ma pauvre maîtresse... si bonne... si douce... si belle.
— En voilà assez, hurla Arnaud qui, cependant, venait de s'agenouiller auprès de sa femme et l'examinait avec plus d'inquiétude qu'il ne voulait en montrer. Elle n'est pas morte. Elle respire encore...
Apportez-moi de l'eau !
— Déliez-moi ! fit Gauthier. Je la ranimerai.
Du geste, Montsalvy ordonna de couper les liens des deux garçons et Gauthier vint s'agenouiller auprès de la jeune femme évanouie, dont il examina le cou froissé et bleuissant.
— Il était temps ! Une seconde de plus et elle expirait.
Il touchait doucement les chairs meurtries, s'assurait d'une main légère que, dans ce cou mince, rien n'était brisé. Puis, fouillant l'aumônière de Catherine, il en tira le petit flacon de cristal qu'il déboucha.
Arnaud le regardait faire avec intérêt :
— Tu fais un drôle d'écuyer ! Tu es médecin, l'ami ?
— J'étais étudiant quand Dame Catherine m'a tiré d'un mauvais pas et pris à son service. La médecine m'intéressait plus que le reste, ce qui ne veut pas dire qu'elle me passionnait... Tenez, elle revient à elle !
Catherine, en effet, ouvrait les yeux. La vue de la figure sombre de son mari, penchée sur elle, lui arracha un gémissement effrayé et un mouvement de recul. Tout de suite, il fut debout et la colère, la rancune se marquèrent de nouveau sur son visage.
Mais la jeune femme, elle aussi, se redressait et la conscience de sa volonté lui revint en même temps que ses forces.
— Ma mère se meurt, articula-t-elle non sans peine, je dois aller à Châteauvillain.
Elle avait une bizarre voix enrouée, pénible, qui ne résonnait que douloureusement sur ses cordes vocales froissées, et au prix d'un pénible effort.
Arnaud serra les poings.
Non. Tu n'iras pas retrouver le duc Philippe ! Je saurai t'en empêcher !
La Châteauvillain t'a tendu un piège... en admettant que tu ne sois pas d'accord avec elle...
— Le duc... n'est pas là ! Je le sais ! Il est à Saint- Omer où-le Connétable... doit le joindre à cette heure !
— Mensonge ! Il est là. On l'a vu...
— On s'est trompé ! Il s'apprête à assiéger Calais. Que ferait-il par ici ?
— Il t'attend ! La Châteauvillain, qui me hait, a dû arranger cela pour rentrer en grâce. Ses affaires vont mal depuis que son fils sert le duc de Bourbon. Et ça lui ressemble tellement !...
Catherine eut une grimace de douleur. Elle s'agrippa aux bras de Gauthier et de Bérenger qui la soutenaient et s'efforça de se relever puis, plantant son regard dans celui de son époux :
— Quoi que tu puisses dire, j'irai, affirma-t-elle et, de nouveau, elle répéta : « Ma mère se meurt ! Souviens-toi de la tienne !... »
Incapable de supporter plus longtemps la vue de cette femme défaite, vacillante, qui revendiquait d'une si terrible voix le droit de rejoindre sa mère, de cette femme dont chaque regard était un reproche et une accusation, Arnaud de Montsalvy s'enfuit en courant.