...Vous, bonne Vierge ! Mais vous êtes plus de chez nous que si, comme ce caillou - et la toilière s'abaissant vivement ramassa une pierre du chemin vous aviez été tirée de notre vieille terre. Vous êtes peut- être née à Paris, mais qu'est-ce qu'il vous en reste ? Messire Arnaud et vous, vous n'êtes qu'une seule chair, un seul cœur. Et si lui n'est pas d'ici, alors qui c'est qui en sera ? Et, sans vous, on ne l'aurait plus, messire Arnaud... Marchez, Dame Catherine ! Que vous le vouliez ou non, dans la muraille de Montsalvy, vous êtes la pierre angulaire et rien ni personne ne pourra vous en arracher... ou dire le contraire.
— Merci, Gauberte ! Mais je crois qu'il vaudrait mieux pour tout le monde qu'Azalaïs tînt sa langue et, surtout, qu'elle soit surveillée. Un tel état d'esprit est inadmissible dans une ville assiégée.
— Soyez tranquille, Dame Catherine, on l'aura à l'œil, la belle. A la moindre incartade, je vous préviens et vous la faites arrêter, même si ce pauvre imbécile d'Augustin doit en faire une maladie. Marchez, not'
Dame ! La consigne sera passée.
Puis, comme on était arrivé à la porte du monastère, Gauberte, sans laisser à Catherine le temps d'apprécier son émotion, lui adressa un plongeon rapide et, tournant les talons, regagna sa maison à grandes enjambées.
Luttant contre les larmes, mais curieusement réchauffée, la jeune femme franchit le portail du monastère, saluée par le frère portier qui l'informa qu'elle trouverait l'abbé Bernard dans la salle capitulaire.
— Il donne sa leçon au petit seigneur ! ajouta-t-il avec un bon sourire.
— Une leçon ? Aujourd'hui ?
— Mais oui ! Sa Révérence pense qu'un siège n'est pas une excuse suffisante pour perdre son temps !
« Ce genre de formule, c'était bien le style de l'abbé », pensa Catherine. Alors que l'on pouvait s'attendre, à chaque instant, à ce qu'une horde s'élançât à l'assaut de la ville, alors que son église, certainement, était emplie de fidèles venus demander l'intercession du ciel, lui continuait à instruire le petit Michel comme si de rien n'était.
Et, en effet, en gagnant la grande salle du chapitre, Catherine entendit la voix de son fils qui récitait un poème, de saison sinon de circonstance :
Le grincement de la porte poussée par la main de Catherine interrompit le clair débit de la voix enfantine. Assis sur un escabeau d'où pendaient ses petites jambes, en face de l'abbé qui, debout devant lui, l'écoutait bras croisés et le menton dans la main, Michel, coupé en plein élan, tourna vers sa mère sa frimousse ronde où s'inscrivait une déception.
—
Oh ! Madame ma mère ! reprocha-t-il, pourquoi donc venez-vous céans à cette heure ?
— Est-ce que je ne devrais pas ?
—
Non, vous ne devriez pas ! J'espère que vous n'avez rien entendu ?
À cette question pleine d'angoisse, Catherine comprit que l'enfant devait être en train de répéter une petite poésie, sans doute destinée à lui être offerte, le matin de Pâques, avec les souhaits traditionnels.
Elle sourit avec une parfaite innocence :
—
Y avait-il quelque chose à entendre ? La porte était fermée et j'arrive tout juste. Je t'assure que je n'ai rien entendu. Mais si je t'ai dérangé, je t'en demande pardon.
—
Ce n'est rien, concéda Michel magnanime, si vous n'avez pas entendu.
—
La leçon est finie pour aujourd'hui, intervint l'abbé en posant sa main sur les boucles blondes de l'enfant. Tu as bien travaillé, Michel, et je crois que tu peux maintenant aller retrouver Sara.
Aussitôt, le petit garçon sauta à terre, courut à sa mère dont il entoura les jambes de ses petits bras.
— S'il vous plaît... est-ce que je peux ne pas rentrer tout de suite à la maison ?
— Où veux-tu donc aller ?
— Chez l'Auguste ! Il commence aujourd'hui à préparer la cire, pour le grand cierge de Pâques, et il m'a dit que je pouvais venir.
Elle l'enleva de terre, le serra contre sa poitrine et embrassa avec adoration ses joues rondes et duveteuses.
— Va, mon fils ! Mais n'ennuie pas Auguste et ne t'attarde pas trop. Sara s'inquiéterait.
Il promit tout ce qu'elle voulut, lui planta un gros baiser sur le bout du nez dans sa hâte d'aller admirer l'alchimie cirière d'Auguste Malvezin puis, se laissant glisser à terre, se sauva en courant, suivi par le regard tendrement indulgent de sa mère et de l'abbé.
— Il a toute l'ardeur et la curiosité de son père, remarqua celui-ci.