— Vous êtes bien pâle. Ne feriez-vous pas mieux de rester au lit ?
— Je me reproche déjà le temps que m'a fait perdre ma faiblesse de cette nuit. Il ne m'est plus possible,
sachant ce que je sais, de rester au lit. Je ne sais pas s'il me sera encore permis de dormir tant que l'angoisse ne m'aura pas quittée. Voyez-vous, mon Père, quand j'ai su ce que ces... gens ont machiné pour nous perdre, il m'a semblé que la vie se retirait de moi et que...
— Cessez donc de chercher des excuses à votre souffrance, Dame Catherine ! Moi-même, j'ai vacillé un moment, je l'avoue, devant une perfidie si profonde, mais c'est peut-être l'indignation que j'en ai éprouvée qui m'a permis de prendre votre suite sans faiblesse... et sans pitié. Gervais Malfrat n'a fait aucune difficulté pour avouer tout ce que nous désirions savoir. Et sa peau est intacte.
En quelques phrases, Bernard de Calmont d'Olt mit la châtelaine au courant de ce que ses vassaux savaient déjà en y ajoutant la fin lamentable d'Augustin Fabre.
— Il nous reste, fit-il en manière de conclusion, à essayer de retrouver Azalaïs, si la chose est encore possible... et à statuer sur le sort de Gervais. Maintenez- vous la sentence de mort que vous lui avez annoncée ?
— Vous savez bien que je n'ai pas le choix, Votre Révérence !
Personne, ici, ne comprendrait que je fasse grâce et personne ne me le pardonnerait. Je crois que nos gens auraient l'impression qu'on les trahit. Et ce serait inciter Martin Cairou à frapper lui-même, ce qu'aucune force humaine ne pourrait l'empêcher de faire. C'est donc son âme, à lui, que je mettrais en péril si je me laissais aller à une pitié, d'ailleurs parfaitement injustifiée. Gervais sera pendu ce soir.
— Je ne peux vous donner tort et je sais ce qu'il vous en coûte.
J'enverrai l'un de mes frères au donjon, tout à l'heure, pour le préparer à mourir. Mais ce n'est pas cela, n'est-ce pas, qui vous tient le plus à cœur ?
— Non, murmura sourdement la jeune femme. Le péril qui menace mon époux est trop grand. À cette heure, le bâtard d'Apchier galope sur la route de Paris, portant ce que vous savez. Il faut le rattraper. Songez qu'il n'a que trop d'avance.
Quatre jours ! Une avance possible à rattraper si le Ciel est avec nous et si Gonnet rencontre des obstacles sur sa route. Dieu sait qu'il n'en manque pas sur les grands chemins de ce malheureux pays ! Mais notre envoyé ne serait pas davantage à l'abri des mêmes obstacles. Je ne vous cache pas, mon amie, que depuis les aveux de Gervais je ne cesse de tourner et de retourner ce problème dans ma tête... un problème d'autant plus ardu que nous n'avons pas, comme les Apchier, la possibilité de quitter la ville comme nous voulons. Nous sommes assiégés, hélas !
— Tout porte à croire que le siège n'a pas empêché Azalaïs de nous fausser compagnie. Ce qu'une femme a réussi, pourquoi donc un homme ne l'accomplirait-il pas ?
— C'est exactement ce que sont venus me dire quelques-uns de vos vassaux... le jeune Bérenger en tête. Ce garçon, qu'une bataille fait pâlir, n'en est pas moins prêt à courir sus tout seul à un guerrier aussi redoutable que le bâtard pour sauver messire Arnaud. Il prétend n'avoir aucune difficulté à évoluer le long d'un rempart au bout d'une corde et je l'ai laissé piaffer dans la cour attendant votre réponse.
— Ma réponse ? fit Catherine amèrement. Demandez-la au cadavre de Fabre qui va se défaire sous nos yeux, livré aux bêtes et aux intempéries pendant des jours ! Bérenger n'est qu'un enfant : je ne veux pas le sacrifier.
— Quel que soit celui qui tentera de descendre des murailles, il aura bien peu de chances de s'en tirer vivant. L'ennemi fait bonne garde et... Écoutez !...
Un affreux vacarme venait d'éclater au-dehors fait du fracas des armes et des cris qui éclataient de part et d'autre : l'ennemi attaquait, essayant sans doute de profiter de cette espèce de détente qu'avait apportée le retour du soleil.
Un instant, la châtelaine et le prêtre écoutèrent en silence puis, presque en même temps, ils se signèrent.
— Il va encore y avoir des morts et des blessés ! soupira Catherine.
Combien de temps tiendrons-nous ?
— Pas bien longtemps, je le crains. Tout à l'heure, je suis monté au clocher de l'église et j'ai inspecté le camp de l'ennemi. Une partie d'entre les hommes est en train d'abattre des arbres et les charpentiers sont à la tâche : ils vont construire des tours de siège. D'autres tuaient les bêtes que l'on n'a pu faire rentrer dans la ville et les écorchaient pour étendre leurs peaux sur le bois et le mettre à l'abri du feu. Il nous faudrait une aide rapide sinon nous devrons parlementer... et sans doute capituler !
Le pâle visage de la jeune femme devint encore plus blanc.
Capituler ? Elle connaissait déjà les conditions et s'il lui était indifférent de livrer aux griffes des Apchier tout le contenu de sa maison, il n'en allait pas de même pour sa personne. La reddition signerait son arrêt de mort, car elle n'accepterait jamais d'entrer au lit du loup du Gévaudan.