Il n'eut pas le temps de formuler davantage sa menace. Le jeune Chazay venait de lever le bras et s'élançait déjà sur les soldats du guet en braillant :
— En avant, les gars ! Montrons à ces brutes que les étudiants du collège de Navarre ne laissent pas molester leurs amis sans en découdre !
Instantanément, la mêlée fut générale. Les archers avaient pour eux leurs armes, dont ils étaient, d'ailleurs, bien incapables de se servir en corps à corps, et leurs justaucorps de cuir renforcés de plaques d'acier, mais les étudiants étaient portés par la fureur et tapaient comme des sourds.
Néanmoins, le combat était par trop inégal. Bientôt le sol fut jonché d'une demi-douzaine d'escholiers proprement assommés, nez saignant et arcades sourcilières ouvertes. Les autres prirent la fuite et, quand le calme revint, Catherine, qui avait assisté à la bataille avec plus d'amusement que de crainte, s'aperçut que la prisonnière avait disparu durant l'échauffourée, mais qu'en contrepartie le jeune Gauthier avait pris sa place. Solidement maintenu par deux soldats, il clamait des injures à tous les vents, se réclamant des franchises de l'université, tandis qu'un troisième homme d'aune le ficelait soigneusement.
— Je me plaindrai ! hurlait-il. Notre recteur protestera et Monseigneur l'Evêque prendra ma défense. Vous n'avez pas le droit...
On sait bien que les escholiers ont tous les droits, riposta le sergent qui commandait l'escouade, mais pas celui d'attaquer les soldats du guet pour faire libérer une prisonnière. Et je conseille à ton recteur de se tenir tranquille s'il ne veut pas d'ennuis. Messire Philippe de Ternant, notre nouveau prévôt, a la main lourde.
Le nom frappa Catherine, car c'était un nom de Bourgogne.
Fréquemment, jadis, à Dijon ou à Bruges, elle avait rencontré le sire de Ternant qui était l'un des familiers du duc Philippe. C'était, en effet, un homme implacable, mais d'une vaillance et d'une honnêteté au-dessus du commun. Ainsi c'était lui, maintenant, le Prévôt de Paris
? De Paris libéré par les gens du roi Charles ? Décidément, les choses avaient bien changé et il apparaissait qu'en effet l'impitoyable guerre civile qui, durant tant d'années, avait opposé Armagnacs et Bourguignons s'était décidée à prendre fin.
Pensant que, peut-être, elle pourrait être de quelque utilité au turbulent escholier, elle s'approcha du sergent qui reformait sa troupe.
— Qu'allez-vous faire de votre prisonnier, sergent ? demanda-t-elle.
L'homme se retourna, la regarda, puis, sans doute satisfait de son examen, sourit et haussant les épaules :
— Ce qu'on fait de ses pareils quand ils font trop de bruit, mon jeune gentilhomme : le mettre un peu au frais. Rien de tel pour calmer une tête chaude. Le cachot, l'eau claire et le pain noir font merveille dans ces cas-là.
— L'eau claire et le pain noir ? Mais il est déjà si maigre...
— Nous le sommes tous ! Ça faisait des semaines qu'on crevait de faim quand Monseigneur le Connétable est entré dans Paris, mais c'étaient encore les étudiants qui mangeaient le moins, sauf quand ils réussissaient à voler quelque chose. Marchez ! Le pain noir, ça vaut mieux que pas de pain du tout. Allez, vous autres ! En avant !
Catherine n'insista pas. Elle regarda la silhouette dégingandée disparaître sous la voûte du Petit Châtelet en se promettant de plaider sa cause à la première occasion. Mais, comme elle se détournait pour remonter à cheval, elle constata que Bérenger paraissait changé en statue. Droit sur son cheval, il contemplait toujours l'entrée de la prison alors même qu'il n'y avait plus rien à voir...
— Eh bien, Bérenger ? Nous continuons...
Il tourna la tête et elle vit alors que ses yeux brillaient comme des chandelles.
— Ne pouvons-nous rien faire pour lui ? soupira-t-il. Un étudiant en prison ! L'esprit, le savoir, la lumière du monde enfermés entre quatre murs ignobles ! C'est une pensée insoutenable.
Catherine dissimula un sourire. Ces paroles tragiques jointes au réjouissant accent méridional du page en faisaient tout un poème.
— J'ignorais, dit-elle, que vous portiez à ces messieurs de l'Université une si révérencieuse admiration. Il est vrai que vous êtes poète...
— Oui, mais je suis à peu près ignorant. Or, j'aurais tant voulu étudier. Malheureusement, les miens considèrent les livres comme des outils de perdition et de dégénérescence.
— Étrange ! Il me semblait pourtant avoir ouï dire que les chanoines de Saint-Projet étaient gens fort savants et que l'on apprenait quelque chose chez eux. Pourquoi, en ce cas, en être sorti...
en y mettant le feu par-dessus le marché ?
— Je voulais être étudiant, pas moine. Or, à Saint- Projet, l'un ne va pas sans l'autre.
—- Je comprends ! Eh bien, mon ami, nous verrons à vous faire instruire davantage quand nous serons revenus au pays. L'abbé Bernard me paraît tout indiqué pour cela. En attendant, nous avons mieux à faire et, si vous voulez bien quitter ce lieu qui vous plaît si fort, je vous promets, en retour, d'essayer de tirer d'affaire cette